La peinture à la soude de Cécile Cornet

Par Xavier Bourgine18 septembre 2025In Articles, 2025

 

 

Dans ses compositions sur châssis ou toile libre, dans des intérieurs minimalistes ou des extérieurs nuit incendiaires, la peinture à la soude de Cécile Cornet s’attaque à la résurgence masculiniste des stéréotypes de genres et aux stéréotypes matériels du « grand » genre.

Comme dans les Mythologies de Barthes, les toiles de Cécile Cornet s’incarnent dans des objets du quotidien : la cocotte-minute, la bétadine, le spray Vanish ou la lessive Ariel. Les produits ménagers envahissent la série #StayAtHomeGirlfriend (2023) qui reprend un hashtag viral sur les réseaux sociaux, alors qu’il prône le retour des femmes au foyer. Pour en souligner l’insanité, Cécile Cornet montre des têtes coupées, des mains étroitement cadrées (Another day in Paradise). Au long d’une corde à linge, une étoile se greffe, qui la transforme en fil de fer barbelé (Ariane). Ici et là, les égratignures et les plaies germent : Painted Dreams, ou comment retirer une épine avec grâce, propose une réinterprétation avec ongles longs du Spinario, célèbre statue antique du tireur d’épine. Quant à La Femme à la cruche, elle rappele La Source d’Ingres, la cruche étant remplacée par un flacon de lessive, ainsi que, par sa couleur rouge, les reprises par Martial Raysse de célèbres nus de la modernité (Made in Japan, 1964).

À propos des « Saponides et détergents », Barthes démasquait déjà « la fonction abrasive du détergent sous l’image délicieuse d’une substance à la fois profonde et aérienne », et le fait que la plupart des marques appartiennent au même conglomérat industriel, Unilever, ce qui reste vrai soixante-dix ans plus tard. Du plus blanc que blanc au plus rouge que rouge, Cécile Cornet ajoute la question de la répartition genrée des tâches ménagères.

Son nouveau réalisme féministe rouvre également des réflexions picturales. Subvertissant non seulement l’iconographie des réseaux sociaux et celle des Nouveaux Réalistes, ses Boîtes de conserve (2020) évoquant Arman, son Déjeuner sur nappe Macdan (2022) Gérard Deschamps (Plastique à la tapette, 1961), elle déconstruit aussi avec légèreté la peinture à l’huile, genre masculin s’il en est, lui préférant l’acrylique, tout en déjouant la problématique du caractère contemporain, ou non, du médium, posée, en France du moins, à la fin du XXe siècle.

Ainsi l’usage de la toile libre, rappelle que celle-ci est au premier chef un linge, potentiellement passable en machine ou lavable à la main, comme le lin du trousseau de la grand-mère, mais donne en outre une dimension installative aux compositions. Jean Le Gac avait déjà bien perçu, par exemple avec ses Story-Art (1984-1986) sur toiles libres, avec projecteurs de cinéma placés devant, cette possibilité de sortir du mur. En plaçant devant la toile un séchoir à linge, en faisant pendre la Femme à la cruche dans un évier de lessive, ou simplement en mettant à sécher comme un drap Nomad’s land (2024) Cécile Cornet étoffe ce questionnement d’une dimension féministe supplémentaire.

L’usage du texte dans l’image est également typique du « retour » à la peinture du début des années 1980, où il devient, par exemple pour Alberola, prétexte à peindre tout en signalant un rattachement contemporain. Chez Cécile Cornet, quelques paroles, dans un dialogisme à sens unique, sont inscrites sur certaines toiles : « Sorry, I’m just not in the mood tonight » dans Hors-champ (2023) rejoue la scène trop vue d’un abus de faiblesse et « Eveything is fine, thank you very much », dans Feeling blue…? (2023) exprime la satisfaction du mâle qui n’a rien fait et n’en a probablement rien à faire. Inscrites en jaune en bas de l’écran pictural, elles sont enfin une référence aux sous-titres des soap-opera subventionnés par l’industrie des détergents.

La soude se fait caustique sur les idéaux falsifiés et les enfermements véritables, à partir d’une dialectique des symboles et des images. La bétadine des Stigmates, par exemple, avec son rouge et sa consistance, est aussi ambivalente que la lessive délicieuse mais abrasive : elle soigne mais elle saigne. De même pour les Perles (2023), qui sont aussi bien celles du collier, incarnation suprême des valeurs traditionnelles, que du rosaire, larmes cristallisées de la douleur de la Vierge. Avec Blue Monday (2024), où le sang perle, on pense aussi à Yayoi Kusama et à ses Self-obliterations (1967) de mannequins en couleurs aussi vive, les pieds dans des kilos de pâtes.

Dans un ultime renversement, le triptyque Dibutadès (2021) revient sur les origines mythologiques de la peinture, qui depuis les Histoires naturelles de Pline ont été reprises en poncif par l’histoire de l’art, par exemple quand Vasari évoque le jeune Giotto dessinant l’ombre de ses chèvres. Sauf que dans l’original, c’est bien une femme qui invente la peinture à partir de l’ombre de son amant, dont la légende retient pourtant le nom. Dans ce remix, Callirrhoé, la première peintre, est la seule à être entièrement visible. Le modèle masculin, coupé en deux ou brisé par l’angle de la toile, reste ce qu’il aurait dû : secondaire.

 

Là où d’autres peintres de sa génération parlent de la société par touches, au sein d’œuvres qui représentent d’abord leur environnement, eux-mêmes ou leurs proches, Cécile Cornet prend la voie plus directe du stéréotype, qu’elle lave et relave aux couleurs vives de l’histoire de l’art. À la suite de son premier solo show à la galerie Danysz en septembre, son travail est à découvrir à l’exposition des éditions Artaïs à la galerie Romero Paprocky en octobre, puis à partir de mars 2026 au Mucem à Marseille, où elle est actuellement résidente d’Artagon.

 

Infos pratiques :

Danysz – Paris

78 rue Amelot (Marais)

Jusqu’au 27 septembre

 


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