Esmeralda Da Costa, Altera(c)tions à Anis Gras

« En attendant que le vent tourne », si le titre du tryptique vidéo présenté dans la l’exposition d’Esmeralda Da Costa, sur un commissariat Maya Sachweh,  est l’expression d’une situation réellement vécue lors d’une résidence dans le Kerala – car il a soufflé le vent, allant jusqu’à casser un de ses objectifs et la contraignant à filmer selon un seul angle de vue – il traduit également les nouvelles pistes de ses dernières œuvres, dont certaines sont créées spécialement pour l’exposition  « Altera(c)tions » » à l’espace d’art d’Anis Gras : un regard davantage porté sur la nature et l’environnement, ouvrant sur de nouvelles perceptions.

En effet, jusque là, l’artiste, diplômée de la Villa Arson en 2011, et assistante de Tania Mouraud, nous avait habitués à des oeuvres plus « combatives », que ce soit dans ses vidéos ou dans ses performances. Elle y mettait le corps  (le plus souvent le sien) au défi de lui-même dans une relation duale, la pratique de la boxe à haut niveau n’étant pas étrangère à ce langage corporel « rageur ». Ainsi on a pu la voir en short immergée dans une piscine ou dans une robe rouge, boxer contre son double, aussi exaspéré qu’elle.  Dans la vidéo #jetenveux à la bande son répétitive, une seule main filmée en plan serré, malaxant la peau d’un ventre et se refermant en poing suffit à exprimer le ressentiment et sa propagation virale (lauréate du Prix Opline Prize 2018).

Mais après deux voyages en Inde, déterminants dans sa manière de se ressentir au monde désormais, son travail opère un tournant. Il faut dire qu’au retour du premier, elle se fait voler son sac avec toutes ses images, un véritable traumatisme, dit-elle  « c’est comme si  mon regard avait disparu » et que c’est l’intention de refilmer les images perdues qui motive son deuxième voyage, intention qu’elle abandonne très rapidement à son arrivée, comprenant qu’il est vain de chercher à refaire ce qui n’est plus. L’autre n’est plus un alter ego avec lequel on ferraille mais un autre, à la fois corps naturel, corps social, corps faisant partie d’un tout, corps à qui on laisse sa place. Ses œuvres récentes rendent compte de la fragilité d’un corps-monde qui s’altère. Une série de linogravures en noir et blanc, médium encore jamais exposé,  montre des scènes d’actualité, des sujets de société. La manière directe de les traiter contraste avec la complexité de ses installations vidéos et sonores ou les étranges fantasmagories végétales de la série Cose Naturali. Il s’agit pourtant du même processus, fait d’assemblages, de collages et de superpositions de sources diverses, par lesquelles entrent en résonance la présence et la disparition, l’intime et l’universel, l’un et le multiple, le réel et le virtuel, et l’extraordinaire synergie à l’œuvre dans la vie.  A l’égal de celle qui fait courir Esmeralda Da Costa, à la fin des vidéos, prête à passer à l’action et en hors champ rencontrer l’autre. Là où il fut, aux origines d’Anis Gras, une ancienne serre et distillerie fondée par le botaniste Raspail, là où il résonne, dans la poésie de Fernando Pessoa, mémoire sensible comme poussée des gravats, là où elle retrouve sa propre histoire. Elle l’a entendu, le vent traverse le temps.

 

Par Marie Gayet


Infos :

Altera(c)tions.  

Espace d’art Anis Gras – le lieu de l’autre

55av. Laplace, Arcueil 94

du 4 au 25 octobre