Entretien avec Céline Poulin, dans le cadre de l’exposition CRUSH aux Beaux-Arts de Paris

 

Nous rencontrons Céline Poulin, directrice du CAC Brétigny et membre du comité de sélection pour l’exposition CRUSH, qui nous présente ce dispositif novateur pour la professionnalisation des étudiants des Beaux-Arts de Paris lancé par Jean de Loisy. Cet accrochage permet aux étudiants de se confronter au regard et à l’analyse de professionnels (journalistes, directeurs d’institutions, collectionneurs…) tout au long de leur parcours. Gaël Charbau, Xavier Fransceschi et Céline Poulin ont ainsi sélectionné 44 candidats exposés dans l’imposante cour vitrée des Beaux-Arts pendant 10 jours. Une aide à la production et une exposition avec Rubis Mécénat* et le Prix Sarr** assorti d’une résidence à la Villa Chicago accompagnent l’initiative et témoignent de l’implication des mécènes dans ce nouveau parcours de professionnalisation. Etape essentielle dans la carrière d’un artiste, ce dispositif est tout à fait novateur.

Récemment élue vice-présidente du Conseil d’administration du réseau d.c.a, Céline Poulin dirige le CAC-Brétigny depuis juin 2016, Elle y développe un programme faisant des artistes, théoriciens et amateurs de véritables usagers du lieu. Elle y a présenté les premières expositions en France de Liz Magic Laser, Hélène Bertin, Florian Sumi et prochainement Núria Güell. Philosophe de formation, Céline Poulin fut notamment chargée de la programmation hors-les-murs du Parc Saint Léger et a été commissaire invitée, seule ou avec le collectif Le Bureau/, à la Villa du Parc à Annemasse, au DAZ à Berlin en partenariat avec l’Institut français, à la Box, à la Synagogue de Delme, au Casino du Luxembourg, à la galerie Klemm’s à Berlin etc. Elle est également membre de l’IKT et de C-E-A. 

Quelle a été la genèse de cette invitation de commissariat ?

J’ai été invitée par Jean de Loisy à venir découvrir le travail des étudiants avec comme idée première la rencontres dans les ateliers. Mais à cause du confinement, nous avons été obligés de passer par le dossier sous forme de Pdf, le fameux portfolio. Gaël Charbau, Xavier Fransceschi et moi-même avons reçu les 244 dossiers d’étudiants qui ont souhaité participer à cet accrochage. Nous les avons tous étudiés, avec comme contrainte de n’en choisir que 15 chacun d’entre nous. Ils sont tous étudiants aux Beaux-Arts, de la première à la 5ème année, certains étant en Erasmus ou en échange international.

Quelles spécificités des Beaux-Arts de Paris se dégagent de ce panorama ?

Cela m’a permis de réaliser la grande diversité d’origines géographiques, de parcours, d’âges et de pratiques aux Beaux-Arts de Paris. Il est intéressant de voir que cette école est très ouverte, sans formatage dans la sélection des étudiants qui y rentrent. Si certaines écoles vont se focaliser sur des prépas art ou des élèves d’une certaine tranche d’âge, cela n’est pas le cas ici.

En quoi cette démarche rejoint-elle les missions que doit se donner une école d’art ?

Si une école se doit bien sûr d’être un espace d’expérimentation et de liberté, elle a aussi un rôle de professionnalisation. Cette démarche renforce ce rôle, ce qui est à la fois exigeant et intéressant pour les étudiants qui doivent se confronter à l’épreuve du regard de l’autre, à la fois des professionnels invités à choisir les bénéficiaires de cet accrochage et d’autres qui viennent pendant l’accrochage. Cela leur met le pied à l’étrier en quelque sorte. A préciser que les artistes étudiants en 1ère année vont pouvoir continuer à postuler chaque année puisque le dispositif va se renouveler. Si les Félicités sont exposés aussi chaque année, c’est une étape différente car nous sommes à un moment où la pratique peut être encore ‘in progress’. Nous sommes encore à un stade du processus de formation.

Les artistes ont plus que jamais besoin de cette visibilité dans cette crise qui les impacte à tous les niveaux. Ils n’ont pas accès aux ateliers dans les mêmes conditions qu’habituellement ni aux mêmes conversations, c’est pourquoi j’ai tenu à rencontrer tous les étudiants artistes avec qui j’ai travaillé pour pouvoir échanger. Cela nous a fait du bien à tous. Par ailleurs, la conversation avec eux ne s’arrête pas à Crush pour moi. J’ai également repéré d’autres jeunes artistes que je n’ai pas pu retenir dans les 15 (c’est peu 15 sur 244 !) mais que je vais suivre de près. Il était important que l’évènement ouvre et ne soit pas indéfiniment repoussé car il en devient très concret. De plus, comme il s’adresse uniquement à des professionnels il répond aussi à toutes les autorisations nécessaires.

Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez retenu l’artiste Rafael Moreno (5ème année) et nous décrire son installation ?

C’est intéressant que vous choisissiez cet artiste car le choix de ce travail s’est imposé à moi immédiatement, sans hésitation. Il y a dans ses installations une justesse rare : les canettes de coca anthropomorphes renvoient au premier regard une impression un peu kawaï, mignonne, très liée à un vocabulaire numérique (gif…), et le second temps amène le désenchantement et l’horreur, les personnages étant en train de commettre des scènes de violences terribles (viol, cannibalisme…). La canette de coca renvoie bien sûr à l’impérialisme américain et résonne avec l’histoire de la Colombie, dont est originaire Raphaël Moreno. C’est une œuvre à la fois directe et complexe à plusieurs niveaux de lecture.

En tant que directrice du CAC pouvez-nous nous redire l’ADN de ce lieu ?

C’est un lieu qui historiquement porte une attention spécifique à ses usages, c’est quelque chose que j’ai renforcé et aujourd’hui le CAC considère ses usagers (artistes, théoriciens, habitants, amateurs, l’équipe elle-même) comme les participants à la construction et l’identité du projet. La programmation va se construire sur ce socle, la médiation et la communication étant notamment des dispositifs artistiques à part entière. Le CAC Brétigny a cette spécificité de travailler beaucoup en co-création avec des amateurs, de s’inscrire dans une filiation avec l’éducation populaire et, cela est lié, à la frontière avec d’autres disciplines.

Quelle est votre programmation actuelle ?

Nous exposons l’artiste argentine Mercedes Azpilicueta qui vit aux Pays Bas sur un commissariat de Virginie Bobin. Cette exposition est le dernier chapitre d’une série de trois expositions, qui se sont précédemment tenues à CentroCentro (Madrid, 2019) et à Museion—Musée d’Art Moderne et Contemporain (Bozen/Bolzano, 2020) avant de revenir en Île-de-France, où le projet avait débuté en 2017 lors d’une résidence à la Villa Vassilieff dans le cadre du Pernod Ricard Fellowship. Dans chacun de ces lieux, Mercedes Azpilicueta a mené des recherches et des conversations avec des interlocuteur·rice·s locaux·ales, qui résonnent dans les œuvres exposées.

Nous arrivons à faire vivre autrement l’exposition et sur l’ensemble de notre territoire, Cœur d’Essonne Agglomération, dans les écoles pour montrer de manière filmique ou en images l’exposition ou par la pratique même de l’artiste que nous réactivons. Nous avons prolongé l’exposition jusqu’au 24 avril, et j’espère bien qu’elle ouvrira d’ici-là !

Nous exposons également au Théâtre Brétigny, nos voisin.e.s et collaborateur.rice.s privilégié.e.s, les artistes Neïla Czermak Ichti et Ibrahim Meïté Sikely. Les deux expositions sont pour l’instant fermées au public et nous pouvons seulement accueillir quelques professionnel.le.s sur rendez-vous.

*Aide à la production Rubis Mécénat :

Le fonds de dotation Rubis Mécénat lance une nouvelle aide à la production artistique et une exposition annuelle destinée exclusivement aux étudiants des Beaux-Arts de Paris exposés lors de l’accrochage CRUSH. Après délibération du jury, Dhewadi Hadjab, peintre en 4ème année atelier Tim Eitel, se voit attribuer une dotation de 5000€, ainsi qu’une prise en charge pouvant aller jusqu’à 20 000€ pour la production d’un grand diptyque qui sera exposé à l’église Saint-Eustache à l’automne 2021.

**Prix Sarr :

Catherine et Mamadou-Abou Sarr, entrepreneurs français aux Etats-Unis, collectionneurs d’art contemporains très impliqués dans l’aide à la création artistique, s’associent avec les Beaux-Arts de Paris afin de soutenir annuellement 3 jeunes artistes étudiants et les aider dans leur parcours de professionnalisation. Les artistes lauréats des prix Sarr, Pierre-Alexandre Savriacouty, Victoire Inchauspé et Pier Sparta reçoivent chacun une dotation de 5 000€. Parmi eux,Pierre-Alexandre Savriacouty bénéficie en outre d’une résidence d’un mois à la Villa Chicago, une initiative des services culturels de l’ambassade de France aux États-Unis. Dotée de 4 000$, cette résidence de recherche et de création s’achèvera par une exposition à Chicago.

 


Infos pratiques :

  • CRUSH du 3 au 14 février
  • Le Théâtre des Expositionsà partir du 3 mars :

Les chefs-d’œuvre des collections des Beaux-Arts de Paris et les créations des jeunes artistes de l’École et de leurs professeurs sont réunis dans une succession ininterrompue d’expositions.

Exposition, ′′ Bestiario de Lengüitas ” de Mercedes Azpilicueta

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