ANSELME SENNELIER – Geste et résistance

Par Laetitia Toulout17 octobre 2025In Articles, 2025, Revue #35

 

 

Anselme Sennelier (1988, vit et travaille à Dijon) expérimente les matériaux de construction – pierre, brique, bois, acier, terre – en leur appliquant des forces contraintes par le biais de mécanismes et d’outils qu’il invente. Soudés, pliés, comprimés, ces éléments résistent ou se brisent, révélant par leur réaction aux dispositifs la singularité de leurs propriétés physiques. L’œuvre naît moins d’un geste de façonnage que de la mise en tension entre mécanisme et matière, qui va révéler la substance même de la matière travaillée.

 

Par ces procédés, l’artiste engage sa propre force – physique autant que mentale, inhérente à la volonté et au libre-arbitre – pour dialoguer avec la matière dans son essence même, plutôt que dans sa seule fonction utilitaire. En effet, avant de se consacrer à la création artistique, Anselme Sennelier a exercé divers métiers du bâtiment : électricien, soudeur, paysagiste, maçon, plaquiste, étanchéiste, bardeur… Cette expérience nourrit aujourd’hui sa pratique, où il met en lumière les matériaux non pas pour ce qu’ils servent à construire, mais pour ce qu’ils sont en eux-mêmes, faisant apparaître tout autant leur puissance que leurs fragilités intrinsèques. Il conserve en outre une forte relation à l’espace, à l’architecture qu’il travaille comme une matière première, qu’il a plaisir à modifier, entailler, retravailler, bref, expérimenter.

Pour l’artiste, un déplacement s’opère ainsi dans sa relation avec la matière. Il va en explorer les limites, les poussant parfois à bout, jusqu’à la friction, la fissure ou même la rupture. Il fabrique différemment, n’ayant crainte de ce qui rompt ou tombe, prenant la réaction de la matière comme elle vient et pour ce qu’elle est. Si Anselme Sennelier affirme son propre libre-arbitre dans l’acte, il laisse aussi à la matière une forme de souveraineté : elle répond à sa manière, parfois de façon surprenante, voire imprévisible. L’artiste initie un premier geste, puis laisse l’ordre naturel des choses poursuivre. C’est ce qui fait sculpture, ce qui fait œuvre.

La notion de limite est ici primordiale. Anselme Sennelier ouvre un champ d’action, mais c’est la matière qui décide jusqu’où aller : elle résiste ou se brise, elle plie ou s’effondre, elle s’arrête ou poursuit sa transformation. Ces limites ne sont pas seulement formelles et organiques – telles la solidité d’un bois, la cassure d’une pierre, la torsion d’un métal -, elles sont aussi temporelles. Le temps fait son œuvre. Et l’œuvre, loin de n’être qu’une affaire de construction, naît aussi de l’abandon, de l’écoute et de la prise en compte de ce qui nous échappe.

 

 

 


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