ALICJA KWADE AU CCC OD DE TOURS

Situé en plein cœur du quartier historique de Tours, le CCC OD* invite cette année, et ce dans le cadre de la manifestation internationale “Viva Leonardo Da Vinci, 500 ans de Renaissance(s)“, l’artiste polonaise Alicja Kwade à investir la magnifique nef aux larges baies vitrées ouvertes sur la ville et l’église Saint Julien. Nombre d’entre nous avaient pu découvrir son installation « WeltenLinie » à la biennale de Venise en 2017.  Avec « La pensée au repos », cette « manipulatrice de perceptions » joue avec le temps et l’espace et invite le visiteur à parcourir un labyrinthe, composé de murs de béton alternant avec des miroirs et cadres métalliques évidés.

Aicja Kwade, née en 1979 et travaillant à Berlin, explore les notions de réalité et d’illusion, dans la tradition de la sculpture et d’une esthétique héritée du minimalisme. Que regardons-nous ? En opposant matériau naturel et fabriqué, original et copie, et en jouant sur les rapports d’échelle, elle élabore des fictions fondées sur des phénomènes scientifiques qui la passionnent depuis son plus jeune âge telles l’astronomie, la physique ou encore la géologie. La littérature scientifique, qu’elle parcourt régulièrement sans en maîtriser parfaitement toutes les notions, stimule son imaginaire d’artiste.

Un paysage à caractère métaphysique s’offre au regard du spectateur. Des cadres noirs rythment l’espace en rejouant l’architecture du lieu. Dans cette installation, où extérieur et intérieur se confondent et où les chemins possibles sont multiples, on ne perçoit jamais qu’une fraction de l’espace total. Au fil de la déambulation, les points de vue sont démultipliés et à chaque instant différents, incitant à un recadrage permanent.

Inspirée par la suite de Fibonacci, l’artiste joue avec les formes et les démultiplie. Partant d’un tronc d’arbre qui sera coulé dans le bronze, elle le distord afin qu’il devienne élément architectural. Alicja explore la matière et recourt aux matériaux bruts tels le verre, le bois, la pierre ou le bronze. Mais rien n’est laissé au hasard. Ici et là sont disposés très précisément et minutieusement de façon symétrique par rapport aux cadres noirs vides ou pleins, des arbres fossilisés, des colonnes grecques, gothiques ou baroques. Le trouble s’installe. S’agit-il d’une image réelle ou d’une image réfléchie ? Plusieurs escaliers ponctuent l’espace, symboles de la progression vers le savoir, de l’ascension vers la connaissance. Ici bien au contraire, ils ne mènent nulle part, si ce n’est à sa propre image, réfléchie dans le « beau miroir ». S’agit-il d’un passage vers un autre monde, du reflet de notre âme ou encore de l’image de notre destinée ?

Enfin, Alicja Kwade nous oblige à prendre conscience du temps qui passe, en tentant de rendre concrète une notion immatérielle, comme souvent dans son travail. En référence au mouvement planétaire, une horloge monumentale en lévitation, pendule de Foucault d’un nouveau genre, tournoie au-dessus de nos têtes au son des secondes qui défilent dans un décompte inexorable du temps.

Comme l’a écrit Merleau-Ponty*, « Ainsi le perçu, bien loin de s’opposer à l’imaginaire, comporterait une dimension onirique essentielle… offrant à la vision la texture imaginaire du réel… ». Ponctuée de références à l’histoire de l’art, cette immersion spatio-temporelle illusionniste nous invite à prendre le temps de nous perdre, mettre tous nos sens en éveil, qu’ils soient tactiles, rétiniens ou auditifs, incitant à une réflexion sur notre perception du monde.

« Nous acceptons la plupart de ce qui nous entoure par pure habitude. Mais que savons-nous ou comprenons-nous vraiment ? » conclut simplement l’artiste.

*CCC OD : Centre de création contemporaine Olivier Debré

*Merleau-Ponty « Le visible et l’invisible »

 

Par Sylvie Fontaine


Infos :

The Resting Thought

CCC OD

jardin François 1er, Tours

jusqu’au 1er septembre