THU-VAN TRAN, 24 HEURES À HANOÏ

De temps en temps
Les nuages nous reposent
De tant regarder la lune.
Matsuo Bashõ

24 heures, c’est le temps d’une respiration terrestre et pour l’artiste Thu-Van Tran le temps d’un passage furtif sur les traces de son histoire et de son passé. C’est celui-là même qui nous conduit à la ville d’Hô Chi Minh en 1979, année de sa naissance. Deux années plus tard, c’est en France qu’elle s’enracine. Son thème de prédilection ? « La question du déplacement, physique et culturel notamment au travers d’épisodes de l’histoire coloniale ».*1 L’art de Thu-Van Tran nous propose une relecture des récits de civilisations : ses formes sont des témoignages de l’histoire passée, pétries d’une expérience sensible et présente au monde. Bien souvent, son œuvre s’inscrit à la suite d’un voyage et devient l’interprétation d’un souvenir, d’un sentiment, d’une histoire. Ce périple à Hanoï est ici vécu comme une journée initiatique plongée dans la réalité d’un lieu marqué au fer rouge par son contexte historique, politique et culturel.

Sous l’impulsion de Claire Le Restif, Thu-Van Tran est invitée au Crédac à matérialiser ces révélations intimes, fruits de cette expérience. Pensée comme une boucle, l’exposition nous aspire dans un monde qui dialogue entre passé et présent, un voyage intime autour des mythes et de l’histoire du Vietnam. Tout a commencé par la visite de Thu-Van Tran au temple de la littérature, un lieu où reposent 82 tortues taillées dans la pierre au 14ème siècle et incarnant chacune sous forme de haïkus (sur leur stèle) un savant vietnamien.

De retour en France, l’artiste imagine que chacune de ces gardiennes du passé s’est adressée à elle comme si c’était le pays lui – même qui lui parlait. « C’est par l’écriture, cet acte de transformation absolu » (Marguerite Duras) que l’artiste interprète cet échange rêvé : les mots deviennent alors pilier et souffle de l’exposition elle – même composée en trois actes comme le haïku. Par lui « on inspire, puis on réinjecte ce que l’on a conservé, modifié et digéré en nous ». *2

Au Crédac, c’est donc 82 tortues de cire qui accueillent le visiteur. Celui-ci sera ensuite conduit dans la deuxième salle où est projeté un film de 24 minutes retraçant ce pèlerinage express : l’errance d’une femme, Hoa Mi (rossignol en Vietnamien) prise entre deux temps de l’histoire de son pays. C’est enfin le temps du dernier vol dans la salle qui clôture ces 24 heures. Ici, une fresque annonciatrice, qui contient en elle sous ce gris apparent, des couleurs vives, tranchées : référence au Rainbow Herbicide, produit chimique répandu par avion sur les plantations d’hévéa ou utilisé comme arme durant la guerre du Vietnam. L’horreur fusionne avec le sublime : une constellation de points lumineux, une expérience de l’émerveillement. « Il s’agit, comme pour l’ensemble de mon travail d’introduire une expérience esthétique comme modalité d’une relecture possible de l’histoire ; l’émerveillement comme contrepoint à la violence. Selon moi, le parti pris de la beauté et de l’émerveillement est une posture artistique valide. Tout comme Hô Chi Minh qui dans sa cellule écrit et délie la misère en créant des situations – littéraires – d’enchantement, je suis à la recherche d’un « dé-liage » (….) Il s’agit davantage d’un transfert de force et d’intensité (…) si l’impact de la violence est terrible, l’émerveillement doit, en retour être inouï afin de libérer les imaginaires ».*3

*1 : Extrait du dossier de presse du Crédac
*2 : Extrait de l’entretien entre Thu-Van Tran et Claire Le Restif dans le hors-série Beaux Arts magazine
*3 : Extrait de l’entretien entre Thu-Van Tran et Claire Le Restif dans le hors-série Beaux Arts magazine

Par Elise Roche


Infos :

24 heures à Hanoï

Le Crédac, Centre d’art contemporain d’Ivry

La Manufacture des Oeillets

1 Place Pierre Gosnat, Ivry-sur-Seine

jusqu’au 30 juin