Voir en Peinture. La Jeune Figuration en France

Par Amélie Boulin18 janvier 2024In Articles, 2024

 

Le Musée des Beaux-Arts de Dole se fait la référence depuis quelques années de la jeune figuration française. Si la première édition fut un succès, les multiples réitérations confirment le rôle majeur que tient à avoir le musée dans la promotion de la jeune création.

 

A l’occasion de cette nouvelle édition curatée par Anne Dary, la scénographie retenue mélange volontiers les styles, la répartition des œuvres étant réalisée par genre, subtile réminiscence d’une tradition propre aux salons de peinture qui ont jalonné l’histoire de l’art en France. On notera toutefois un enrichissement dans les genres exposés, qui sont augmentés des thématiques entre autres onirique et numérique en plus de celles habituellement proposées : portraits, nature morte et autres tableaux d’histoire.

 

Nous proposons ici de détailler quelques œuvres exposés afin de donner un panorama d’une trentaine d’artistes sélectionnés.

 

A commencer par Jean Claracq dont l’huile sur bois de 2017 intitulée A view from an apartment relève de la tradition de la peinture flamande, allant jusqu’à introduire en transparence la figure du peintre dans un paragone subtil, clin d’œil au procédé de Jan Van Eyck, peintre flamand, dans son tableau Les époux Arnolfini de 1434. On ne peut également manquer de citer Alberti, humaniste du Quattrocento italien, dont la célèbre fenêtre ouverte sur l’histoire est dupliquée dans une mise en abîme : fenêtre du cadre, fenêtre de l’appartement, fenêtre de la page internet. Le peintre évoque sans détour la surabondance des images et leur vérité toute relative.

 

Ces mêmes images qui surabondent dans la vie quotidienne et dans l’art contemporain font l’objet d’un traitement particulier chez Louise Belin qui relève la ruine inévitable de l’image numérique. La série Les Augures est évocatrice de cette faille à présager dans le système d’archivage informatique. Les flous et les saturations de lumière sur ces miniatures d’internet reprises par l’artiste sont interprétées par elle comme un ersatz de signaux mystiques qu’elle retranscrit sur des tissus emplâtrés, figeant l’image numérique sur une masse non moins destructible. Elle affirme ainsi la dimension faillible des images aux en-têtes tronquées dont la qualité numérique s’est naturellement dégradée lors de leur circulation dans les algorithmes des moteurs de recherche.

 

Dans un registre du journal de bord, Shu Rui réalise des tableaux dont le contenu aborde l’actualité de la crise sanitaire dans un panier de légumes à la conservation longue accompagné de l’emblématique papier hygiénique, ou encore celle plus actuelle de la guerre en Ukraine à travers un étalage de diverses farines sur fond d’images d’émigrés de guerre à la une des journaux et de tendances alimentaires.

 

Les natures mortes s’enchaînent mais ne se ressemblent pas. Clémentine Margheriti propose au public d’adopter le regard non pas d’un troisième œil mais de celui du peintre en donnant à voir la perspective étrange d’un bouquet de fleurs saisi depuis la posture accroupie de l’artiste. Elle réinvestit l’huile et le support de l’ardoise, médiums traditionnels, dans ces compositions dont le sujet, rebattu pendant des siècles, se dévoile ici avec fraîcheur.

 

Avec autant de poésie mais dans un silence qui lui est propre, l’œuvre de Miranda Webster condense dans de petits formats le frémissement imperceptible du sac plastique tendu des brindilles qui le remplissent et toute la pesanteur des rochers suspendus dans une membrane rose pastel. Les sujets diffèrent pourtant le motif est similaire, celui de peindre l’instant suspendu, l’étirement de la matière jusqu’à la tension redoutable de la perforation.

 

Mireille Blanc, pour sa part, développe une peinture qui a pour origine le cadre photographique. Elle saisit l’objet dans son usage quotidien, ici un gant qui imite une main squelettique, avant de le peindre à l’aide d’une huile très peu diluée qui produit cette densité. Le gant de déguisement révèle ici, par opposition avec sa chair de plastique mou, la courbe tendre du corps de l’enfant qui le porte, étrangeté de composition qu’affectionne l’artiste souvent en quête de cette perturbation visuelle qu’occasionne le cadrage resserré.

 

On note une tendance des peintres à puiser dans les registres de l’intime. Cyril Duret n’y fait pas défaut quand il peint Sans Martin ni Forêt noire, tablée d’amis et de personnalités du monde de l’art qu’il réunit au cours d’un dîner chez l’un d’eux, sans Martin ni Forêt noire semble-t-il. Ce titre, anecdotique, est d’une importance cruciale car il situe les conditions de la prise de vue dans un cadre familier et intimiste. De fait, la couche verte qui prépare la toile participe à donner à l’ensemble de la composition la teinte jaune des éclairages d’intérieurs dans les photographies de ces repas conviviaux sans fin. Ce terme de prise de vue n’est d’ailleurs pas usurpé. L’artiste a en effet extrait de captations vidéo une expression du visage de chacun pour venir recréer la tablée.

 

La peinture de la scène contemporaine n’en finit pas de réinvestir les techniques anciennes pour exploiter tout le potentiel de la peinture. La série Chemical Milling de Eva Nielsen utilise le cuir pour déployer tout un jeu d’apparition et de disparition des motifs urbains. Grâce aux propriétés naturellement absorbante du cuir, l’artiste peut y superposer les couches de sérigraphies et de peinture. Le paysage imprimé révèle ainsi dans un subtil nuancier les cabanes du Vercors au cœur des forêts, alternance de bâtiments humains et de nature inhospitalière.

 

De même, le cassone de Manon Vargas est la reprise de ces coffres en bois peints destinés à la dot de la mariée. L’artiste peint le sien en détournant les codes qui y sont affiliés, y incluant de multiples citations d’œuvres classiques issues de l’histoire de l’art qu’elle renouvelle pour servir une ironie mordante.

 

Nous ne saurions citer tous les artistes tant la sélection est large et belle et nous ne pouvons que vous encourager à découvrir au musée des Beaux-Arts de Dole l’ensemble des exposés : Guillaume Bresson, Laurent Proux, Thomas Lévy-Lasne…et tant d’autres.

 

Voir en peinture. La jeune figuration en France.

Jusqu’au 3 mars 2024

Exposition coproduite avec le MASC – musée d’art moderne & contemporain des Sables d’Olonne et le musée Estrine de Saint-Rémy-de-Provence

Musée des Beaux-Arts

85 Rue des Arènes, Dole