Aurélia Zahedi - la Rose de Jéricho

 

 

Aurélia Zahedi nous invite à retrouver les traces de la rose de Jéricho, plante réputée immortelle qui fleurit dans le désert, au cours d’un voyage immersif et proprement initiatique dans le hammam de l’Institut des Cultures d’Islam. C’est l’occasion pour l’artiste engagée dans cette quête, de recréer, à l’aide de multiples pratiques artistiques du dessin à la vidéo, un espace poétique, composant un récit à plusieurs voix, à l’écoute de la mémoire d’un territoire et des silences de l’invisible.

A l’origine, la rose de Jéricho est une plante nomade, discrète, nichée au ras du sol, transportée par le vent, capable de mourir puis de renaître dès que la pluie rare et précieuse dans le désert réapparaît. Ainsi, est-elle associée à la résurrection et au sacré; on lui prête des vertus de guérison. Est-ce l’imaginaire que la plante éveille, la résonance mystique ou l’écho de son propre exil qui poussent la jeune artiste franco-iranienne, née à Lyon et diplômée de la Villa Arson, dans cette quête de la plante mythique ? Dès 2016, après une enquête dans les livres de botanique, l’artiste entreprend un premier voyage en Palestine, rejoignant les Bédouins de Nabi Moussa qui accompagnent son périple dans le désert à l’est de Jérusalem. L’intuition de l’artiste qui voit dans la fleur « les yeux, les oreilles, le pouls subtil, le réceptacle d’histoires menacées de disparaître » selon les mots de la commissaire, Clélia Coussonnet, se nourrit alors des témoignages des hommes.

L’exposition ouvre sur une étonnante sculpture de verre transparent, reproduisant la forme de pierres tombales du cimetière bédouin de Jéricho. Celle-ci est ornée seulement de quelques graminées séchées, présentées comme dans un herbier. Ce ne sont pas des roses de Jéricho. Premier étonnement pour l’artiste, la ville sainte ne recèle aucune rose qui porte son nom. La tombe semblable à un berceau vide se transforme en allégorie de l’absence. La tonalité est donnée, l’installation n’occulte pas la réflexion sur la mort ; le tombeau est aussi un jardin, évocation du cycle de la vie par un retour à la terre. En contrepoint, de grandes toiles font surgir du sable des portraits de Bédouins d’un réalisme singulier, présences charnelles, guides et figures tutélaires.

Dans les douches du hammam, l’artiste a conçu une installation troublante évoquant le retour à la vie. Une série de dessins à l’encre dévoile les facettes d’une rose changeante qui attend son réveil. La scénographie prépare ainsi le visiteur au dévoilement de la fleur réelle en un mouvement quasi religieux, comparable à la visite de saintes reliques dans une crypte. La fleur précieuse est enfermée dans de somptueux réceptacles de verre. Ces objets désignés comme des coffrets cérémoniels portent des noms évocateurs « Patiens quia aeterna », citation latine renvoyant à l’attente de l’éternité pour le chrétien, En attente de boire la lune  et Résurrection.  C’est là que l’artiste convie, certains soirs, le spectateur à une performance, rituel partagé autour de la naissance faisant revivre la rose par l’eau, la poésie et le chant.

D’autres créations associant le verre, le sable et le sel cristallisé de la mer Morte sont présentées comme des reliquaires. La transparence du verre invite à la réflexion comme devant un memento mori. Le verre n’est-il pas fait de sable, cette matière du désert qui coule comme le temps ? Face à cette vitrine, trois peintures évoquent la prière de Nesrine, illustrant le recueillement d’une Bédouine dans le monastère de Nabi Moussa, qui porte le nom de Moïse, figure commune aux trois religions, juive, chrétienne et musulmane.  Avec toute la subtilité de la miniature persane, la femme prosternée, enveloppée de ses voiles, apparaît comme une fleur recroquevillée toute à l’intensité de sa prière.

L’exposition se termine avec une expérience méditative. Dans une cave voûtée, un triptyque photographique ressuscite une nuit étoilée, écrasant les vestiges de tombes fantomatiques au cimetière de Nabi Moussa. Le voyage depuis les entrailles de la terre et la sculpture-tombe se clôt sur la contemplation de la voûte céleste, comme si ce regard vers le ciel pouvait apaiser la mémoire des vivants, Bédouins nomades dans ce territoire traversé par la folie des hommes.

Le récit en ellipse porté par l’artiste n’est jamais appuyé. Entre terre et ciel, la Rose de Jéricho se révèle une quête inachevée, comme si l’expérience artistique pouvait engendrer des récits, ressusciter des mémoires et interroger l’homme par-delà les frontières. A cet égard, la vidéo de l’artiste est exemplaire. Elle reprend d’abord la légende de la fleur qui serait née sous les pas de Marie/Maryam lors de sa fuite en Egypte. Au détour de ce voyage, sont évoqués à travers des récits allégoriques, la lutte fratricide des hommes. Deux chiens bâtards se disputent un morceau de plastique sur lequel ils se couchent. L’un chasse l’autre. Devant le monastère, des chats se nourrissent des cervelles des morts, dit la voix off. Que reste-t-il du vivant et du sacré ?

« Rose de Jéricho, souviens-toi du monde dans tes voyages pour me le raconter, puisque l’humanité a dessiné des lignes qui m’empêchent de franchir la poussière ». L’apostrophe à l’entrée de l’exposition est sans doute une clé pour appréhender le travail de Aurélia Zahedi, accueilli à l’Institut des cultures d’Islam, un lieu dédié à la création contemporaine qui poursuit un dialogue entre cultures dans la ville-monde.

 

Aurélia Zahedi – La Rose de Jéricho

ICI- Institut des Cultures d’Islam

56 rue Stephenson, Paris 18e

Jusqu’au 30 Juin 2024