La Nuit venue, on y verra plus clair

Par Marie Gayet1 mars 2024In 2024, Revue #32, Articles

 

 

La Nuit venue, on y verra plus clair

Sur le principe d’un scénario découpé en « intérieur, extérieur, jour et nuit », l’exposition au Centre culturel Jean Cocteau, commissariée par Anna Milone et Luca Avanzini, trace les contours de ce moment particulier qu’est la nuit et où les œuvres des trois artistes invités jouent le trouble des repères et les espaces intermédiaires. 

Dans la fontaine devant la façade, à la place du jet d’eau, la sculpture/assemblage Poulet fleuri de Prosper Legault, faite à partir d’enseignes de boutiques et de néons de la ville récupérés, est comme un poème dadaïste : fleurs, chicken spot, croix de pharmacie… Au-dessus, le mot Glaneur !  Avec un côté presque hallucinatoire, ces jeux d’associations et de matières transforment les rebuts en rébus visuels. Quatre autres sculptures ont été installées entre le métro et le centre d’art par l’artiste musicien, parolier et qui se dit aussi « distilleur ». Le parcours du retour prend un air de jeu de piste à repérer les haïkus électriques aux couleurs acidulées dans l’espace urbain.

« En grec, on ne fait pas de rêve, on les voit », peut-on lire en exergue du film Dream Coat de Nefeli Papadimouli, réalisé avec Vincent Ceraudo et André Serre Milan. On reconnaît dans les costumes portés par les protagonistes les manteaux présentés dans deux autres salles de l’exposition. Ce sont des vêtements-paysages, des habits-sculptures, extrêmement élaborés. Suspendus les uns à côté des autres, aux prénoms des femmes qui les ont portés, ils sont les enveloppes de corps continuant de faire communauté par-delà l’absence.

Pour l’artiste, « la ville est un espace sensible qui habite autant qu’il est habité des sensibilités de ses habitant.es jusqu’à devenir le décor de leurs rêves ». Se pourrait-il alors que les rêves soient communs ? Partagés ? Déjà Jean Cocteau dans Le Testament d’Orphée l’expérimentait, en mettant lui aussi sur les yeux d’autres « yeux » capables de lui faire traverser le temps et de voir les rêves des autres. La collection des masques oculaires, déposés sur les yeux des dormeurs et dormeuses dans le film, et visibles dans l’exposition sur des écrins noirs tels des bijoux précieux, semblent être dotés du même pouvoir « voyant ».

En plus de la réactivation des Dream Coat lors d’une performance, pensée comme une œuvre totale et collaborative, la proposition présente également un grand livre où des nuages en négatif forment d’étranges paréidolies, un rideau en gélatine comparable au subterfuge du procédé cinématographique de « la nuit américaine » et des dessins de schémas à la mécanique poétique. Sur des voilages, ce sont des retranscriptions de rêves, les siens, ceux des autres. Les phrases de la voix off du film ont été recueillies auprès d’habitant.es lilasien.nes.

La nuit, les voix s’écoutent d’une manière différente. C’est ce que laissent entendre les entretiens réalisés avec des personnes qui travaillent la nuit aux Lilas, par Camille Plocki, metteuse en scène, la troisième artiste invitée. Diffusés à l’extérieur près de la fontaine, ces fragments d’intimité sonore témoignent du caractère à part de la nuit. Est-ce que l’on y voit plus clair, comme le suggère le titre, phrase extraite d’Alice au pays des merveilles ? Notons que la jeune héroïne fait une brève apparition dans l’exposition au détour d’une lithographie de Topor. La question reste en suspens…

 

La Nuit venue, on y verra plus clair

Jusqu’au 1er juin 2024

Centre culturel Jean Cocteau

53, place Charles de Gaulle, Les Lilas