La photographie a l’épreuve de l’abstraction

 

Le réel est-il soluble dans sa représentation ? Telle est la question que pose le duo d’artistes Stéphanie Rollin et David Brognon dans son exposition « rétrospective » au MAC/VAL, réunissant un ensemble de sa production polymorphe et polysémique qui met en espace et en perspective l’humain, le temps et l’espace.

Que le titre de l’exposition soit emprunté à un texte de Jorge Luis Borges, l’auteur argentin atteint de cécité, fait sens dès qu’on passe le sas pour accéder à un espace presque entièrement plongé dans le noir. Tel un aveugle, le spectateur avance à tâtons pour trouver ses repères. Le premier est un faisceau lumineux qui balaie l’espace, produit par ce qu’on appelle dans le monde du théâtre une « poursuite ». Le ton est donné : nous sommes poursuivis, traqués, surveillés, emprisonnés.

L’enfermement est l’une des thématiques principales de Brognon Rollin. Il peut être psychique, comme dans les addictions à la drogue auxquelles font subtilement référence des « tables de shoot » disposées çà et là. Mobilier quasi clinique et aseptisé, récupéré dans un centre pour toxicomanes au Luxembourg, auquel les artistes ont ajouté des éléments symboliques, comme cette toile d’araignée tissée en fils dorés, signifiant à la fois le paradis artificiel et le piège inexorable dans lequel l’adepte des drogues dures se trouve emprisonné.

Il est plus souvent physique, dans les multiples projets que le couple a élaborés en étroite coopération avec des prisonniers, un travail de longue durée qui a donné forme à des vidéos et des objets qui questionnent notre rapport à l’espace (réduit) et le temps (infiniment long).

David Brognon et Stéphanie Rollin ne sont pas à proprement parler des artistes politiques. Mais ils s’impliquent dans des causes diverses (univers carcéral, conflit israélo-palestinien, esclavage, euthanasie, conflits sociaux) à leur manière (détournée). En témoigne le tourniquet métallique surdimensionné dont le cliquetis amplifié résonne à intervalles réguliers. Cette « sculpture sociale » est née à l’initiative d’anciens salariés de l’usine d’engins de chantiers Caterpillar à Gosselies en Belgique qui avait fermé ses portes et laissé 2000 employés sur le carreau en 2016. Résilients a été réalisée avec des matériaux récupérés dans l’usine alors en cours de démantèlement. Elle évoque à la fois le contrôle, l’espace clos, l’exclusion, le pointage et les cadences infernales, mais elle est également le symbole de la résistance, de la continuité et de la solidarité puisque pour chaque exposition, ce sont les travailleurs eux-mêmes qui la montent et démontent.

Parfois leur travail se fait plus conceptuel, comme dans la série des Cosmographia, pour laquelle le tandem a arpenté les îles de Gorée (au large de Dakar) et de Tatihou (dans la Manche) pour reproduire à l’échelle 1 leurs contours sur plusieurs milliers de feuilles mises sous enveloppe et envoyées à leur galerie à Bruxelles où elles sont rangées et mises sous scellés dans une étagère conçue par les artistes. Une entreprise qui confine à l’absurde puisqu’elle s’attache à rendre visible un espace pour ensuite le cacher aux yeux du spectateur. Le choix des deux îles n’est évidemment pas anodin. Les deux ont servi dans le passé pour « stocker » des esclaves avant expédition (Gorée) et isoler des « pestiférés » et des prisonniers de guerre (Tatihou).

La notion d’absurde, chère à Albert Camus, l’auteur du Mythe de Sisyphe, se retrouve dans la vidéo The Most Beautiful Attempt. Elle montre un jeune garçon dans une pièce noire qui pousse patiemment au sol, à l’aide d’une règle, des lignes de sel en suivant le rai de lumière qui pénètre par la fenêtre, travail de Sisyphe par excellence. Et une réflexion poétique sur la vanité des choses et des actes.

 


Infos pratiques:

L’avant-dernière version de la réalité

Jusqu’au 31 janvier 2021

Commissaires : Julien Blanpied et Frank Lamy

 

MAC / VAL

Place de la Libération, Vitry sur Seine