Sylvie Blocher, Les mots qui manquent

Par Dominique Chauchat28 septembre 2016In Articles, 2016, Revue #13

Sylvie Blocher, née en 1953, vit et travaille à Saint-Denis. Elle a beaucoup exposé à l’étranger (l’année dernière au MUDAM de Luxembourg, ou à la Biennale de Venise 2003, par exemple), mais aussi au Centre Pompidou en 2010 et en 2007, ou à l’IAC de Villeurbanne, La Force de l’Art, etc. Elle enseigne à l’Ecole Supérieure d’Art de Paris-Cergy.

Elle a développé un travail d’une grande sensibilité à l’Humain. Par exemple, elle sillonne le monde et met face à sa caméra des hommes et des femmes qui deviennent, ainsi filmés sur un fond neutre, des icônes profanes.

Dans la série des Living Pictures, ces personnes s’exposent, de manière frontale, au regard de l’artiste et des visiteurs. Situation dérangeante, dont certains sortent, parfois, par ce que Sylvie Blocher appelle « la pratique de l’abandon » : parler vrai, être authentique, pendant un moment fugace.

L’exposition au Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis montre un bel échantillon de son travail avec des dispositifs, vidéos et interventions.

Dans la chapelle, Speeches : 5 vidéos projetées sur contreplaqué de taille humaine  reprennent des discours « qui ont promis le bonheur sans jamais y parvenir, faisant rêver ou faisant tuer des millions de personnes »*. Les écrans montrent des images qui pourraient être des papiers-peints, mais dont les éléments parlent de guerre ou de violence.

Dans les cellules des moniales, Etats d’urgence présente au milieu d’images pieuses 5 vidéos avec des textes liés à la mort de ceux qui les ont écrits, comme Olympe de Gouges, chuchotés « comme les passeurs de textes dans Fahrenheit 451 (…) pour qu’ils continuent de circuler ». Un ensemble de pièces réalisées après les attentats de Paris.

En 2010, elle filme 85 adolescents d’un quartier déshérité de São Paulo. Muets, ils se contentent de traverser l’espace en nous regardant avec crainte et suspicion. Ce sont les Living Pictures/Les Témoins. Ils semblent nous demander ce que nous avons fait de notre héritage et nous rendent notre responsabilité sur ce monde que nous leur laissons. Bien que commandée par le gouvernement brésilien, cette série ne sera pas exposée sur place : « le directeur de la culture les trouve trop fiers, irréductibles ». Elle est présentée dans la salle du chapitre, avec une série de dessins sur les unes du journal Libération.

Au MUDAM l’année dernière, l’artiste a invité 100 personnes à échanger avec elle pendant une heure chacune, sur une idée qu’elles apportaient pour changer le monde. Ensuite, elles pouvaient expérimenter une machine de vol leur permettant de monter jusqu’à 12m. Ces vols ont été filmés et sont la base d’une fiction Dreams Have a Language, dont la première partie est montrée en triptyque dans la tribune de Mesdames, sous les toits, au plus haut du musée. Une pièce magnifique qui, dans le silence et le ralenti, parle de légèreté (nous en avons bien besoin…), d’amour, de bonheur, d’innocence, d’enfance. Se lit sur les visages la joie que procure (on l’imagine bien) cette liberté suprême de s’abstraire de la pesanteur. Par le jeu des 3 écrans, on comprend que retrouver son corps, en pleine présence, ouvre à l’autre. Moment de grâce !

Enfin, dans tout l’ancien Carmel, Sylvie Blocher est intervenue par un caviardage poétique sur les sentences mises là autrefois pour l’édification des moniales. Ainsi, « été » remplace probablement « éternité »… Ou comment enlever aux paroles qui enferment, pour libérer les corps et les esprits, et remplacer les arrières-mondes et les lendemains qui chantent par les beautés (il y en a – profitons-en) de la réalité de notre vie.

 

Par Dominique Chauchat


Infos :

Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis

22 bis rue Gabriel Péri, Saint-Denis

jusqu’au 30 mai