Le Théâtre des Expositions - Acte II

 

Cinq nouvelles expositions forment le deuxième acte de lactuel Théâtre des Expositions qui aura regroupé dici janvier 2022 une trentaine de propositions curatoriales au Palais des Beaux-Arts de Paris. Y sont mises en scène les œuvres contemporaines des étudiant·e·s et des professeur·e·s de l’ENSBA et celles, plus anciennes, des collections de l’École.

 

Jardin Secret *, par Noam Alon, est une invitation à rejouer et / ou à déjouer le récit freudien de notre sexualité. Structurée selon le schéma psycho-sexuel du « père de la psychanalyse », l’exposition entend manifester les limites de ses recherches et de ses théories. Malgré leur obsolescence évidente, ces dernières, qui n’imposent comme « saine » que l’hétéronormativité, continuent d’infléchir la manière dont chacun·e articule son monde intérieur. Aussi, Jardin Secret se déploie architecturalement en labyrinthe, dispositif ludique qui permet à la fois d’évoquer le poids d’un système – les parois auxquelles on se heurte sont autant de pressions insidieuses à un choix binaire et prédéterminé – et les dissidences fabriquées par ce même système – il est possible d’emprunter un chemin différent pour s’inventer autrement.

Au Train où vont les choses **, par Corentin Leber, procède d’un brusque changement d’échelle. Nous, devenu·e·s colosses, nous précipitons derrière les trains électriques qui voyagent à travers les maquettes de petits mondes réalistes. Nous sommes conduit·e·s dans ces paysages familiers vers les œuvres minuscules qui y sont disséminées et qui s’érigent alors en monuments. La réduction permet aussi la contraction : la maquette favorise effectivement la cohabitation, de pratiques artistiques apparemment différentes. Plus largement encore cette exposition fait exister les limites, avant tout physiques, de l’institution d’art dans laquelle elle s’inscrit. En replaçant, au sein des cimaises blanches, des mondes extérieurs et familiers, c’est l’imperméabilité de l’espace d’art qui est rendu perceptible.

Le Temps est détraqué ***, par Simona Dvořáková, pose la question du temps et de sa perception en tant qu’expériences subjectives. Ce projet phénoménologique se compose comme une partition d’œuvres qui prennent alors la qualité d’éclats. Elles agissent comme autant de stimuli visuels et sonores programmés dans le temps et dans l’espace. Et alors, plongé·e·s dans le noir, c’est nous qui nous trouvons exposé·e·s à elles plutôt que l’inverse : le corps se laisse aller au rêve, à l’hallucination pour se diffracter à jamais dans le présent, au passé et au futur.

Une Moraine dobjets ****, par Yannick Langlois, s’ouvre sur un ensemble de bustes décapités, respectivement titrés Défi, Tristesse et Calme Majestueux. Ils sont les vestiges atrophiés des concours de têtes d’expressions organisés au sein de l’École des Beaux-Arts pour récompenser la capacité technique des artistes à communiquer les émotions. Portraits par le mot, portraits à défaut, ils annoncent le reste de l’exposition qui fait tenir ensemble la belle hétérogénéité de trois pratiques artistiques.

Tout me trouble à la surface, par Kathy Alliou, est une exposition personnelle d’Éléonore False. Trouvant leur source dans le corpus photographique du docteur Guillaume Duchenne de Boulogne, les pièces produites par l’artiste portent le statut de cobaye et le geste médical, par-delà la rigueur et l’utilitarisme scientifique, dans le régime du sensible et de l’esthétisme. La réflexion de l’artiste est ici essentiellement plastique et se formalise dans la fragmentation et l’agrandissement des images qui sont alors données à vivre plus grandes que soi.

Bien que chaque acte du Théâtre soit autonome, il est important de noter qu’ils forment un tout dont la caractéristique principale est qu’ils se veulent aussi expérimentaux que l’institution puisse l’autroriser. En effet, ce large programme, conçu dans le cadre pédagogique de la filière « Artistes & Métiers de l’Exposition » qui rassemble des jeunes commissaires en résidence et des jeunes artistes en formation, entend présenter des dispositifs d’expositions innovants. Au-delà d’une sélection d’œuvres, il s’agit de porter une réflexion critique sur la nature même d’une exposition – cette dernière étant profondément secouée aujourd’hui alors que les musées et les galeries sont fermé.e.s et que la seule expérience de l’art qui nous soit encore légalement permise se situe dans des territoires virtuels, limitant considérablement le champ des perceptions à solliciter.

Ce qui ressort des cinq expositions décrites précédemment, ce sont des gestes curatoriaux très forts et assumés. Ces expositions portent un potentiel d’ambiguïté intéressant et produisent, de cette manière, un lien beaucoup plus manifeste entre les œuvres, révélant d’autant plus clairement la dynamique de chaque projet. Une fois les démarches des commissaires et des artistes mutuellement contaminées et informées, nous sommes en mesure de développer, au sein même de l’accrochage, une poétique de la collision et de l’incidence. C’est de cette manière seulement que nous serons à même de découvrir la réelle valeur d’une œuvre, d’en éprouver l’autonomie, et d’appeler à des initiatives collectives créatives et créatrices.

 

* (avec les oeuvres de Soraya Abdelhouaret, Chadine Amghar, Hugo Bonnet, Thomas Buswell, Petrit Halilaj, Qian Han, Nino Kapanadze, Achille-François-René Leclère, Dominique Lefèvre-Desforges, Ella Navot, Julien Prévieux, Charlotte Simonnet, Violette Wood et Virginie Yassef)

** (avec les oeuvres de Théo Audoire, Katia Benhaïm, Thomas Buswell, Nina Childress, Claude Closky, Margaux Cuisin, Gabriel Day, Louise-Margot Decombas, Jules Goliath, Raphael Maman, Baptiste Perotin, Nicolas Quiriconi, Eva Gabrielle Sarfati, et Les Passionnés du Train d’Élancourt)

*** (avec les oeuvres de Flora Bouteille, Léa de Cacqueray, Aurélia Declercq, Katya Ev, Tania Gheerbrant, Francisco de Goya, Claire Isorni, Julius Koller, Prosper Legault, Victor Villafagne et Thomas Teurlai)

**** (avec les oeuvres de Jean-Charles Bureau, Florentine Charon et Victoire Thierrée)


LE THEATRE DES EXPOSITIONS, Acte II
Jusqu’au 29 mai
Palais des Beaux-arts
13 quai Malaquais, Paris 6e