A l’écoute de Suzanne Husky

Ce que tu cherches te cherche aussi, est le titre de l’exposition de Suzanne Husky à la Graineterie de Houilles, dont le commissariat est assuré par Julie Sicault-Maillé sur une invitation de la directrice du centre d’art, Alexandra Servel. Il s’agit d’une citation du maître spirituel persan du XIIIe siècle, Rûmî, qui avait fortement influencé le soufisme.

 

Ce solo show retrace plus de quinze ans de création avec une soixantaine de céramiques, quatre œuvres textiles (tapis et tapisserie), une trentaine d’aquarelles, des films et deux installations. Toutes mettent l’accent, d’une manière subtile et inédite, sur les effets dévastateurs de l’humain à l’encontre de la nature et de la faune.

Depuis déjà longtemps, Suzanne Husky a pour préoccupation principale l’histoire des liens à la terre, ses ressources et les hommes qui la peuplent. Après une formation aux Beaux-Arts de Bordeaux et des études de paysagisme à Oakland en Californie, vivant aujourd’hui entre la France et les États-Unis, elle contribue à sa manière et très efficacement à faire prendre conscience à ceux qui regardent ses œuvres de l’urgence à trouver de nouvelles solutions pour notre environnement.

Dès 2016, elle crée avec Stéphanie Sagot un duo d’artistes appelé Le Nouveau Ministère de l’Agriculture, une manière d’entrer en politique en développant des projets protéiformes et visionnaires. Elles se transforment tour à tour en ministres, présentatrices TV, enquêtrices, promotrices immobilières, ingénieurs éclairés. Le NMDA met en lumière l’arc idéologique du ministère de l’agriculture en grossissant ses traits les plus problématiques au regard de la santé de la terre.

Très vite, Suzanne Husky met en relief et dénonce les pratiques environnementales actuelles. Elle ne se limite pas à un seul medium de l’art contemporain, se sert au contraire d’une multiplicité de moyens d’expression, peinture, dessin, sculpture, installation, vidéo, remettant à l’ordre du jour la tapisserie et la céramique.

Dès 2017, l’artiste se confronte à la tapisserie et un premier essai avec La Noble Pastorale inspirée de La Dame à la Licorne, iconique tenture du XVe siècle, joyau du Musée de Cluny, mais avec des éléments d’aujourd’hui : une abatteuse d’arbre s’attaque à la forêt. Les oiseaux semant la vie (2022), raconte l’histoire des oiseaux qui lors de leurs parcours migratoires transportent dans leurs plumes et fientes des graines et des microorganismes qui amplifieront notre écosystème.

Les céramiques et faïences sont nombreuses dans son travail. La série ACAB style, (2015) fait implicitement référence au mouvement ouvrier dans l’Angleterre de l’entre-deux-guerres, ACAB étant l’acronyme que l’on trouvait alors parfois tagué sur les murs : « AIl the Cops Are Bastards » (Tous les flics sont des bâtards). Husky mêle des motifs décoratifs traditionnels à des images récentes de combats de rue, avec des policiers, des militaires armés et des charges de CRS face à des manifestants. La fragilité, presque la préciosité des vases et amphores joue sur l’ambiguïté de motifs très politiques qu’il faut prendre le temps de visualiser.   

Il en est de même des dessins et aquarelles. Plus récemment – fin 2022 – les aquarelles La Leçon des barrages, accompagnées d’une vidéo, sont une intervention narrative et poétique autour de l’animal – le castor – où l’on retrouve la pratique de l’artiste qui allie non seulement une intelligence des matériaux, des techniques et des formes, mais aussi une sincérité intermondialiste. A cela s’ajoutent des films, souvent réalisés en association avec des scientifiques, et des installations mettant en cause la déshumanisation de l’homme, la disparition des espèces animales et végétales et surtout proposant des alternatives aux dégâts dus au réchauffement climatique.
Outre sa portée politique, ce qu’il faut retenir du travail de Suzanne Husky, c’est son immense talent, sa façon de comprendre et de faire exister les signes des images qu’elle donne à voir, tout en continuant à ajouter une vigueur bien précise aux détails de chaque œuvre.

Par la gravitation et la spatialité gestuelle de ses créations, l’artiste prononce le discours le plus vif sur la fraternité de l’homme avec l’animal. Sa création est en permanence, et quel que soit le medium, une annonce qui porte avec elle l’impassible fulgurance de l’évènement. Il y a en elle l’invention poétique, l’élaboration d’un système visionnaire dont les œuvres peuvent être considérées comme des séquences se suivant l’une l’autre et dont l’émotion nous porte. Sa création est un univers « ouvert » qui mêle dans une même impulsion, dynamique de formes et de couleurs, éléments figuratifs et de combats, paysages réels et formes inventées, rêve et réalité immédiate. Tout rigorisme en est exclu.

Toutes ses œuvres sont des récits qui portent le sceau d’une créativité sensible.  Toutes posent la question : « Quel est le pouvoir de l’art aujourd’hui dans le devenir du monde ? » 

Infos pratiques :

Ce que tu cherches te cherche aussi

du 1er avril jusqu’au 27 mai

La Graineterie

27 rue Gabriel Péri, Houilles