Ex Africa, présences africaines au musée du Quai Branly

 

Dans le contexte actuel de la restitution du patrimoine culturel africain (rapport Sarr-Savoy) et la dernière polémique liée à l’ouverture du Humboldt Forum à Berlin, avec les œuvres majoritairement issues de pillages, l’exposition Ex-Africa au Musée du Quai Branly, lieu symbolique s’il en est, s’inscrit dans les multiples enjeux d’une mémoire refoulée qui ne demande qu’à ressurgir. Le commissaire Philippe Dagen nous invite, à travers un vibrant panorama, à poser les multiples filiations et influences entre les arts anciens d’Afrique et la création contemporaine sous un prisme universel aux côtés de 34 artistes.

Pour bien comprendre les fondements de cette ambitieuse relecture dont le titre renvoie à une citation de Pline ‘Ex Africa semper aliquid novi /Toujours Afrique apporte quelque chose de nouveau’, il faut remonter à la thèse qu’il défend dans son livre ‘Primitivismes. Une invention moderne’ publié en 2019. Selon l’historien et critique d’art, la notion de primitivisme, synonyme de rupture par les avant-gardes (Dada, Surréalistes, Picasso, Matisse, Gauguin…), avait évacué totalement la question politique pour ne s’en tenir qu’à sa puissance formelle et esthétique. Une distorsion qui s’explique par le regard volontiers condescendant que posent les européens sur ces objets qualifiés alors « d’exotiques » dans le contexte colonial. L’exposition Primitivism, au MoMa de New York en 1984, consacre cette approche réductrice et stéréotypée d’un art tribal sous l’emprise d’une modernité occidentale.

C’est le point clé qui ouvre la première salle du parcours, assez magique par le choix des artistes de ce préambule : Jean-Michel Basquiat, A.R. Penck, Antoni Clavé et Chéri Samba. Ce dernier, aux côtés de Picasso et de deux masques, s’interroge « Quel avenir pour notre art dans un monde où les artistes vivants sont pour la plupart opprimés : une seule solution est d’être accepté en France (..) ». Même constat avec L’hommage aux anciens créateurs, quand l’artiste au cours de sa visite des réserves de l’université de Zurich apprend que le collectionneur n’a jamais fait le voyage en Afrique. Cette problématique posée, nous basculons dans la semi obscurité avec l’installation des frères Chapman qui ouvre la grande lessiveuse de l’industrie du divertissement mondial.

De la dépossession au recyclage infini des formes il n’y a qu’un pas que franchissent allègrement les artistes du pop. Les arts africains se voient recyclés en emblèmes de la firme américaine Mc Donald, des avatars de la consommation sont digérés à grande échelle comme avec Jean-Michel Alberola (inventaire de sièges africains), David Hammons, Franck Scurtiet ses masques thermoformés dans du plastique et Théo Mercier avec sa pyramide de rebus de l’import/export cheap de l’objet ethnique bon marché. Sarkis, avec la très subtile installation en ronde La Chorégraphie des Trésors de guerre, nous tend le miroir de cette banalisation des fantasmes à l’ère de leur reproductibilité technique.

La 2ème partie de l’exposition intitulée Métamorphoses montre que ces arts africains, désormais affranchis de toute considération passéiste, reprennent vie dans une multiplicité de formes, de langages et de techniques dans la création actuelle. Réhumanisées, ces œuvres peuvent alors s’incarner. Les Self hybridizations d’Orlan, les têtes féminines de Françoise Vergier ou les divinités cornues de Gloria Friedmann sont moins convaincantes à mon sens et desservent le propos. De nombreuses autres artistes femmes pouvaient entrer en résonance. Annette Messager, tient une grande place dans cette section avec ses collants totémiques, Portraits cubistes, et son oeuvre la plus récente, Attye et Barbie, où elle revisite le cliché lié à la fertilité des statues africaines.

Place à un petit bijou : la rotonde des masques.

Parodiant le mode d’accrochage des anciens musées ethnographiques, ce cabinet de curiosités explore le masque dans tous ses états. Romuald Hazoumè est passé maître dans l’art de la subversion avec ces bidons d’essence et autres coiffures des indiens d’Amérique, aux côtés de Kader Attia, Calixte Dakpogan ou Emo de Medeiros (têtes de plumes aux regards numériques). Ce dernier avec ses Electro-fétiches, agit comme un chaman ou un mage avec ces statuettes commandées au Bénin qu’il charge métaphoriquement avec un smartphone. Ainsi le regardeur devient partie prenante du processus. Totems ou fétiches se voient libérés de leurs carcans comme John Edmonds qui déjoue la fameuse photographie Noire et Blanche de Man Ray, les statues altières de Nazanin Pouyandeh ou les Demoiselles d’Avignon par Leonce Raphael Agbodjelou, de retour à Porto-Novo !

Une fois toutes ces hybridations évoquées, place à présent à l’activation, la partie la plus forte du parcours. Les arts africains, après avoir été l’objet de toutes les projections et dérives, conscientes ou non, témoignent d’un état du monde aux multiples préoccupations : exodes et migrations, pillages des ressources naturelles et culturelles… Une alerte portée par les artistes de cette 3ème section avec un focus autour de Pascale Marthine Tayou, Kader Attia, Romuald Hazoumè et Myriam Mihindou (seule femme de ce focus) à qui l’on a passé des commandes spéciales.

Pascale Marthine Tayou revient sur une catastrophe ferroviaire à Eséka, au centre du Cameroun en 2016, suite à la découverte de gisements d’orpaillage. Sous une charpente de bambous, des poupées de verre colorées sommeillent sous les clignotements des éclairs qui menacent.

Kader Attia dresse une scène de théâtre où un certain nombre d’intervenants se positionnent sur la question de la restitution et ses paradoxes : que devient la part manquante et orpheline ?

Romuald Hazoumè, dans une installation en forme de serpent constituée de 5 111 tongs (appelées les impolis au Bénin), évoque le caractère sans retour de tous ces corps engloutis par les flots. No Return, ce grand cimetière marin, est assurément l’un des temps forts de l’exposition de par sa perfection formelle qui renvoie à la Spirale Jetty et sa charge symbolique immédiate.

Myriam Mihindou revisite le motif de la fleur de lys profané pendant la Révolution française comme effacement d’une identité. Des Trophées entre des lances et des fleurs de cristal. L’artiste fait également partie de l’exposition très aboutie Memoria au Frac Nouvelle Aquitaine.

Une charge politique reprise par Pathy Tshindele qui affuble les puissants du monde de colifichets et d’oripeaux de son invention ou le Code Noir qui ressurgit dans le triptyque de Leonce Raphael Agbodjelou tandis que le phénomène d’acculturation spirituelle et religieuse est évoqué par les drapeaux de Jean-Baptiste Jean-Joseph, artiste et prêtre vaudou à Haïti.

Survivance du sacré, des mythes avec les mystérieuses statues de terre cuite de Seyni Awa Camara qui ferment le récit.

Le dernier mot en revient alors à Chéri Samba, comme en préambule avec La vraie carte du monde où il apparait en sauveur universel au sein d’un nouveau rapport de force au profit de l’Afrique, l’Amérique latine et l’Asie du Sud. Nouveaux pôles d’un voyage intense qui s’achève et que chacun peut poursuivre dans les murmures de ces esprits lointains et rêves entrevus d’un possible commun. Le photographe Alun Be nous invite à cet espoir partagé avec sa vision intergénérationnelle de l’héritage culturel de l’Afrique et ses valeurs. Un message qui fait le lien avec la thématique de la « Saison Africa2020 » alors que l’on apprend que Pap Ndiaye historien et professeur, est nommé à la tête du Palais de la Porte Dorée, musée national de l’histoire de l’immigration. Les choses commencent à bouger et l’on sait toute la portée de la nomination d’Emmanuel Kasarhérou à la tête du musée du Quai Branly.

Dans le catalogue, les réponses de plusieurs artistes, à l’invitation de Philippe Dagen, apportent un complément indispensable pour la portée de cette démarche.

 


Infos

Ex-Africa. Présences africaines dans l’art d’aujourd’hui

 

Jusqu’au 27 juin 2021

Musée du quai Branly – Jacques Chirac

37, quai Branly, Paris 7e

 

http://www.quaibranly.fr/