Le feu visionnaire de Miguel Rothschild
Le feu visionnaire de Miguel Rothschild
N’y voir aucune coïncidence, surtout pas, aucune analogie. Mais quelle étrangeté dans ce rapprochement temporel entre l’exposition de Miguel Rothschild (né en 1963 à Buenos Aires, vivant à Berlin), commissariat de Béatrice Andrieux : Le Spectre, à la Maison de l’Amérique latine, et une part de notre humanité qui brûle sur ce continent sud américain, dans ces incendies de la forêt primaire amazonienne brésilienne. L’Amazonie, 5,5 millions de km², est la plus vaste forêt tropicale mondiale, répartie entre neuf pays. Sous l’action des bulldozers et des tronçonneuses, en un demi-siècle 20% de la forêt primaire amazonienne, soit la surface équivalente au territoire français, a disparu !
» Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. […] La terre et l’humanité sont en péril et nous en sommes tous responsables. Il est temps, je crois, d’ouvrir les yeux. […] Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ! Prenons garde que le XXIe siècle ne devienne pas, pour les générations futures, celui d’un crime de l’humanité contre la vie. » disait le président de la République Jacques Chirac lors du sommet mondial du développement durable à Johannesburg, le 2 septembre 2002. Cet appel à l’aide, lourd de prophéties, résonne tristement face à cette catastrophe environnementale en Amérique du Sud, dans ces mégafeux symptômes visionnaires de notre planète en convulsion.
Les photographies de Miguel Rothschild montrent l’évolution d’un nuage de fumée grandissant, produit par un feu de forêt qu’il a photographié dans la région espagnole de Grenade, enveloppant la nature dans son néant blanc, de photographie en photographie, la cachant jusqu’à disparition. Il était fasciné par les formes engendrées par la fumée, » je les percevais de manière si intense qu’elles me faisaient penser à des esprits, comme sortis de l’intérieur du paysage. Cette impression dégageait un mystère qui me fascinait. ». » D’où Le spectre, titre de l’exposition. » Associer la réalité, symbolisée par la fumée, à des esprits, des spectres de la nature, c’est la doter d’une certaine religiosité magique qui m‘interpelle. ».
L’image trouée, brûlée, perforée, centrale dans sa démarche artistique, il la renouvelle ici en brûlant des endroits des photographies où le paysage apparaît, exprimant ainsi une réalité perceptible du feu de forêt. Une façon de nous impliquer dans ce ressenti du danger à venir, dans cette instillation de la confusion d’un sentiment. Le papier, criblé de trous, projette l’extérieur vers une autre perception, vers une ouverture, une incertitude.
» Pour la Maison de l’Amérique latine, j’ai pensé à une série d’œuvres qui, à mon avis, peuvent être reliées au courant du réalisme magique, caractéristique selon moi d‘une grande partie de la littérature latino-américaine. » En écho à cette présentation, Miguel Rothschild a conçu une vitrine de laquelle un panache blanc de fumée s’élève. Une métaphore de l’esprit des forêts.
Aurait-t-il allumé le contre-feu sacrificiel pour que le feu stoppe ? Le hasard n’existe pas. Croyons-y… .
Les citations sont extraites de l’entretien de Miguel Rothschild avec Béatrice Andrieux, catalogue de l’exposition, 2019.
Par Gilles Kraemer
Infos :
Le Spectre. Miguel Rothschild
Maison de l’Amérique latine
boulevard Saint-Germain, Paris 7e
du 15 octobre au 10 janvier 2020