Yoan Beliard – un palimpseste minéral

 

“300 dpi av. J.-C.”

Yoan Beliard s’est tout d’abord intéressé aux images et à leur capacité à traverser les époques. Depuis quelque temps, il fabrique des fragments, des formes qu’il assemble, accumulant les strates indépendamment de leur temporalité dans une référence évidente à l’archéologie et l’architecture.

Le titre de l’exposition « 300 dpi av. J.-C » annonce un doute ou une énigme. Les années sont ici remplacées par une unité de précision, les dpi, utilisée généralement pour définir la résolution d’une image numérique. Là où l’on s’attendrait à une unité de temps, nous sommes confrontés à une unité spatiale extrêmement concise. Opposer exactitude minutieuse et indistinction, unir dans un temps donné – celui de l’exposition – l’acuité de la figuration et l’entrelacement des époques, c’est peut-être l’un des enjeux de l’exposition de Yoan Beliard dans l’espace orléanais.

Sur des socles, des pièces composites constituées de fragments semblent avoir été dérobées à différentes époques et assemblées pour former un objet unique. Ce sont des tessons, des moulures, parfois l’empreinte d’un corps végétal, et sur certaines, un reste d’inscription légèrement effacé. L’artiste semble disparaître, son geste s’effacer, en laissant ces objets éclore. Ils troublent. On se demande s’ils ne sont pas le pur produit du temps, d’un assemblage qui se serait fait « tout naturellement », année après année, lorsque les reliques de chaque époque se superposent en strates, comme ces fossiles qui gardent l’empreinte d’un corps étranger.

On retrouve cette indistinction dans les grandes compositions qui s’étendent sur les murs de la galerie. On dirait, au premier coup d’œil, des bas-reliefs, mais l’on s’aperçoit en approchant que la surface est bien souvent plane et que la profondeur est autre part. De ces compositions qui se détachent comme des tableaux, apparaît quelquefois le cadre d’acier qui tient ensemble les différents éléments qui y sont pris. Ce cadre ouvre sur des espaces vides laissant entrevoir le mur à l’arrière-plan. Les éléments de ces tableaux sont des images de pierres, des visages ; dans l’un d’eux un coquillage est pris dans une chevelure. Ainsi, l’aspect hétéroclite des éléments de chaque pièce, tableau ou volume, se fond dans une unité visuelle, plastique.

Au sous-sol de la galerie, on pénètre dans une pièce blanche, aux lumières plus douces, sorte de crypte moderne aux murs de laquelle sont accrochés des visages fantomatiques dont les yeux ont été remplacés par des miroirs légèrement déformants. Dans ces figures dessinées prises dans d’autres temps, on se regarde ; il y a quelque chose de ludique, presque d’enfantin, à chercher son propre reflet dans ces visages graves qui semblent nous observer à leur tour. Cette série, intitulée GhostFace, s’inscrit dans la démarche de l’artiste et la précise, peut-être de manière plus explicite ou plus évidente : un travail d’archéologue qui tendrait, non pas tant à apporter des réponses qu’à interroger notre propre rapport au monde et à ce qu’il comporte d’images et de matière. « Inhérence de celui qui voit à ce qu’il voit, de celui qui touche à ce qu’il touche, du sentant au senti – un soi donc qui est pris entre des choses, qui a une face et un dos, un passé et un avenir… », écrit Merleau-Ponty dans son dernier ouvrage, L’Œil et l’Esprit.

 


Infos :

Yoan Beliard, 300 dpi av. J.-C.

Espace « Le pays où le ciel est toujours bleu »

5 Rue des Grands Champs, Orléans

du 28 mai au 21 juin 2020