AKAA - une foire pour découvrir de nouveaux talents

Par Xavier Bourgine7 octobre 2024In Articles, 2024

 

Lauréate en 2023 de la Bourse Révélations Emerige, Johanna Mirabel présente à la Galerie Nathalie Obadia le fruit d’un an de résidence à la Ruche, au gré d’un parcours qui reprend les étapes essentielles du carnaval, temps cathartique d’inversion des valeurs qui imprègne toujours fortement la Guyane, sa terre natale. Un « adieu à la chair » aux influences multiples.

 

Le carnaval, étymologiquement adieu à la chair, est ce moment où, dans le passage du maigre au gras, du vivant à la mort et à la résurrection, les corps individuels et le corps social se régénèrent pour mieux entamer un nouveau cycle calendaire. En Guyane, le syncrétisme de cette cérémonie, entre l’incinération du roi Vaval le mercredi des cendres et les références aux marrons, aux bagnards ou aux tirailleurs sénégalais, est particulièrement fort. C’est ce mouvement de transsubstantiation et d’effacement des identités derrière le masque, qui permet de les porter toutes ou de n’en porter aucune, auquel Johanna Mirabel s’est confrontée. Comment traiter de la disparition des chairs et de l’abolition des frontières corporelles en peinture ? En ouvrant cette question, l’artiste aborde celle plus large de la contemporanéité picturale et figurative, qui ne cesse, comme le carnaval, de poursuivre son retour cyclique.

 

Il s’agit, en premier lieu, d’emprunter aux grandes références européennes, la somptuosité des costumes de Velasquez, la déformation des corps d’un Poussin ou d’un Bacon s’emparant du massacre des innocents, ou américaines, avec la tradition gestuelle post-Seconde Guerre mondiale, qui abolit la figure pour mieux réinvestir le corps du peintre et de les mêler au vocabulaire guyanais, le tembé avec ses ocres rouges et ses bleus puissants, le parquet en bois de serpent ou la mémoire des lieux de l’enfance (Folie à deux, installation réalisée avec sa sœur Esther Mirabel). Les compositions des stations initiales du carnaval, plus structurées et séquencées, évoquant les temps du maquillage, du repos ou de l’habillement (Faire maigre, Mardi gras) avec académies magistrales et costumes virtuoses, sont ainsi progressivement envahies par une patte et une matière plus libre (Mascarades 2, Le Dernier dimanche), où se consume définitivement Vaval, le souverain du carnaval.

 

La multiplicité des focales, les perspectives à double ou triple point de fuite unissent ensuite les différents registres picturaux, du réalisme photographique à l’abstraction, du drapé à la coulure, dans des compositions où la diagonale s’hyperbolise et s’arrondit. S’ouvre alors un champ plus vaste de réflexion, puisque dans cette figuration babélienne ou créolisée, pour paraphraser Roland Barthes, la superposition des langages pointe du doigt le masque pictural de la contemporanéité.

 

Il faut se souvenir que lorsqu’ils commencent à (re)peindre au début des années 1980, Robert Combas, Jean-Michel Alberola et Hervé Di Rosa ajoutent des mots sur leurs toiles. Alberola, dans sa tentative de prendre en charge à la fois ce qui s’est passé avant et après 1945, s’en explique : « je ne peux pas être uniquement dans la peinture, il faut que je sois dans quelque chose d’autre, c’est mon inscription dans ce qu’on appelle l’art contemporain, à savoir des gens qui remettent la peinture en question ». Du passage dans son atelier aux Beaux-Arts de Paris, ainsi qu’auprès de Jérôme Zonder, dont la frontalité et la crudité des figures masquées trouvent ici un écho, Johanna Mirabel a retenu la notion d’écritures plurielles. À la lumière de ses toiles, il devient manifeste que la contemporanéité passe aujourd’hui moins par un langage pictural aux tendances métadiscursives, propre à la fin des années 1970 et au début des années 1980, que par la maîtrise de registres multiples dont la conjugaison révèle l’irréductible pluralité des identités.

 

 

 

Info

Johanna Mirabel, Adieu la chair

Jusqu’au 19 octobre

Galerie Obadia: 3 Rue du Cloître Saint-Merri, 75004 Paris