Une yourte pour Asia Now 2023
Asia Now met l’accent cette année sur l’Asie Centrale grâce à la collaboration en tant que commissaire invité du collectif Slavs and Tatars, groupe dynamique qui a l’ambition de révéler cette large région qui regroupe de nombreux pays aux cultures distinctes mais dont les frontières en friction produisent un syncrétisme extrêmement riche.
Leur exposition Parcours créée pour l’occasion accueille les visiteurs depuis le hall d’entrée et met d’ailleurs l’accent sur le textile dont l’importance est historique dans l’interconnexion de ces pays jusqu’en Occident avec notamment l’emblématique Route de la soie. Ce médium malléable a d’ailleurs plusieurs usages qui se déclinent dans les propositions des quatorze artistes exposés. Si « couvrir » semble être le premier de ces emplois, Saule Dyussenbina en détourne le destinataire originel pour vêtir non pas les corps mais les colonnes du Musée de la Monnaie de papiers imprimés dont le motif rappelle une tradition occidentale revisitée avec humour quand on y discerne des cornes de béliers croisés avec l’image d’une célèbre marque française ou un carnage sanglant encadré de pigeons.
Slavs and Tatars met également en lumière Gulnur Mukazhanova dont la laine feutrée à la main s’étend en haut de l’escalier d’honneur. Son travail est visible dans des proportions plus domestiques au stand de la galerie Michael Janssen où il revisite des têtes de lits traditionnelles du Kazakhstan. La laine feutrée y est mise à l’honneur encore une fois, et fixée de manière éphémère sur des brocarts traditionnels du pays. A peine retenue par la pression du feutrage, la laine se pare dans certaines compositions de passementerie et de sequins attachés par de simples aiguilles. La cascade des couleurs vives typique de l’Asie Centrale symbolise cette transformation du Kazakhstan contemporain. Ramazan Can, exposé par la Galerie Anna Laudel, travaille également sur la filiation dans sa série Feeling at home où il présente des néons dont la forme reprend des symboles chamaniques traditionnels du nomadisme sur fond de tapis ancestraux. Une tradition qui se perd dans l’urbanisation, comme en témoignent les tapis pris au piège dans le béton d’une sculpture de la série Deterritorialization.
Ce caractère mobile, qui fait désormais défaut, est réinjecté par les sœurs coréennes Park Chae dans des peintures modulables, que ce soit avec la série de tissages Hand to hand ou celle des acryliques sur stores. Présentées par la Galerie Anne-Laure Buffard, ces œuvres sont voulues par les deux artistes comme des éléments architecturaux qui habillent en même temps qu’ils divisent ou cachent, offrant dans la transparence des médiums une contemplation supplémentaire. Ce jeu des perspectives poétiques est également présent chez l’artiste Kwong Wing Kwan, exposée par la Galerie Cadet Capela, dont la série des Good morning, Sweet dream – Midnight Sun représente le reflet des néons sur un fond rougeoyant de coucher de soleil, reprenant sous le prisme contemporain des éclairages artificiels, un motif de la peinture occidental. D’autres artistes transgressent volontairement les héritages qui leur sont légués. C’est notamment le cas de Young-Jun Tak dont Fragment Gallery expose A scattered past, installation rutilante composée d’une carrosserie de voiture, symbole de virilité, entièrement découpée et polie et dont les fragments ont été répandus en un rectangle parfait, tombeau d’une conception éculée de la masculinité. Cette volonté de mettre en défaut une représentation tronquée est également le fer de lance de l’artiste Deneth Piumakshi Veda Arachchige, dont la série de textiles The Second Skin réhabilite une image de la femme sri-lankaise. Si l’histoire coloniale les photographie à la manière des ethnologues – debouts, inexpressives, inactives – l’artiste déploie sur un tissu chatoyant de son village leurs véritables ouvrages : travail de la terre, travail des rizières, travail domestique.
Han Feng, dans son œuvre Somewhere in Shangai, a compris ce rôle conservateur du tissu qu’il utilise pour enfermer l’âme des objets, ici une statue décapitée. La sculpture, après avoir donné sa forme au tissu, est retirée de l’enveloppe qui en conserve les courbes. Suspendue dans l’espace, l’aura de l’idole est intacte, libérée du poids de sa matière, simplement contenue dans l’enveloppe fragile du textile.
De nombreux autres artistes, aux propositions aussi belles et variées, sont à découvrir dans cette belle édition du salon qui se poursuit jusqu’au 22 octobre 2023.
Asia Now
Jusqu’au 22 octobre au soir
Monnaie de Paris
11 Quai de Conti, 75006 Paris