Une générosité collective

Par Grigori Michel29 novembre 2022In Articles, 2022

 

 

Pour en finir encore – Félicités 2022 est une exposition collective qui met en avant 18 étudiants des Beaux-Arts de Paris. Parmi les 100 diplômés en 2022, cette sélection a obtenu les félicitations d’un jury co-présidé par Béatrice Josse, commissaire indépendante, et Étienne Bernard, directeur du FRAC Bretagne, accompagnés par les artistes Renaud Auguste-Dormeuil, Tarek Lakhrissi, Eva Nielsen, Chloé Quenum et Évariste Richer.

Alors que ces deux dernières années, les félicités étaient présentés hors-les-murs, les grandes salles du Palais des Beaux-arts les accueillent à nouveau.

Ainsi, afin de réouvrir un dialogue entre l’histoire prestigieuse du site et les étudiants récompensés, la commissaire a cherché à activer et à stimuler jusqu’à confronter les publics à cette nouvelle génération d’artistes. Il y a une volonté de réparer et de s’adapter pour offrir, grâce à l’énergie créatrice, de nouvelles perspectives possibles qui déjouent les binarismes sous toutes ses formes. Aussi, Pour en finir encore est accompagnée d’un programme qui invite à échanger autour de thèmes qui relient les félicités à l’actualité, à travers leurs travaux. L’engagement au sein des Beaux-arts, les pratiques collectives et éditoriales ainsi que l’accueil des réfugiés seront discutés tout au long de ce cycle.

Béatrice Josse se saisit de cette promotion 2022 pour valoriser l’idée du collectif avant leur sortie de l’école. En effet, outre une première œuvre qui est l’aboutissement de la collaboration de cinq artistes (Ece Bal, Pauline de Fontgalland, Sergiu Ujvarosi, Joris Valenzuela et Rayan Yamineh) aux pratiques complémentaires, c’est un foisonnement d’expressions artistiques qui dialoguent entre elles, d’un étage à l’autre. Face aux replis qui menacent notre société tant au niveau national qu’au niveau international, il s’agit de s’ouvrir et de s’unir pour un avenir meilleur.

D’ailleurs, cette installation en ouverture clame une Ode au vivant en perpétuel mouvement. S’articulant de façon organique, elle est le résultat d’un entremêlement minutieux d’œuvres où les métaux rencontrent le végétal, le minéral et même le chimique. Joris Valenzuela parle de la force de la résilience avec cette végétation qu’il a extrait des plaques de béton dans son quartier, là où elle luttait pour survivre. Inversement, Pauline de Fontgalland courbe le métal pour lui faire assumer la sensibilité de sa puissance naturelle. Ece Bal interagit alors avec le métal pour l’oxyder. A l’extrémité d’un enchainement métallique, Sergiu Ujvarosi réceptionne, sur une plaque en terre cuite, l’énergie produite par le dispositif. Des noyaux de cerises carbonisés par Ece Bal et des pans en silicone, ayant épousé des microéléments des façades de Joris Valenzuela, nous invitent à la communion avec les éléments. C’est également ce que représente la peinture de Rayan Yamineh, dont l’iconographie est remarquablement bien maîtrisée.

A l’étage de cette exposition, Borgial explore ses racines et ses croyances congolaises pour comprendre d’où il vient, qui il est et où il va. La performance, qu’il expose, est une forme de mythification personnelle de son corps en tant que réceptacle de l’histoire de sa vie où s’animent des forces invisibles en lien avec sa croyance. Il met ainsi en tension le monde matériel et le monde spirituel de la culture Kongo. D’impressionnantes plateformes en bois élèvent et glorifient sa personne tandis qu’il cherche à trouver l’équilibre et l’énergie dont il a besoin. L’artiste démontre une résilience face aux désillusions de sa vie.

L’exposition se termine dans un espace assombri, où Ali Arkady met en évidence la douleur et l’injustice des conflits. L’artiste et photojournaliste, né en Irak et réfugié en France, a dû fuir son pays après avoir photographié des forces armées irakiennes en train de commettre des crimes de guerre fin 2016. Aussi, son travail mettant en parallèle le présent et le passé, la situation en Ukraine et celle de l’Irak, fait ressentir le désespoir et la souffrance de celles et ceux qui recherchent la sécurité. Outre une installation vidéo, ses photos sont imprimées sur des blocs de pierre éclatés pour marquer la destruction et le chaos causé par la guerre. Cette technique originale, qu’il a développé au cours de ses études, il l’appelle « monolithographie ». En plus d’être parmi les Félicités, une de ses œuvres a intégré la collection permanente des Beaux-Arts de Paris.

Dans son ensemble, les félicités 2022 offrent à découvrir une certaine forme de générosité malgré une économie de moyens qui apparaît dans les propositions artistiques. Le réemploi et l’usage de matériaux modestes révèlent une attention particulière vis-à-vis de l’état des ressources et sont une puissante revendication. Pour Béatrice Josse, cette génération « peut-être signale-t-elle ainsi avec beaucoup d’humilité la fin des idéaux de progrès, d’évolution et de croissance infinie ? »


INFOS :

Pour en finir encore – Félicités 2022

Palais des Beaux-Arts, 13 quai Malaquais, Paris 6e

Jusqu’au 4 décembre 2022

Avec les artistes Ali Arkady, Ece Bal, Borgial, Sacha Cambier, Juliette Corne, Pauline-Rose Dumas, Pauline de Fontgalland, Daniel Galicia, Dora Jeridi, Régis Moussa, Emma Passera, Clément Pérot, Mathilde Rossello-Rochet, Sequoia Scavullo, Sergiu Ujvarosi, Joris Valenzuela, Jack Vickery Perez et Rayan Yasmineh.

Curatrice : Béatrice Josse