Un joyau dans la campagne en Charente Limousine
« L’eau parle sans cesse et jamais ne se répète. » Octavio Paz
Le Domaine des Etangs est constitué d’un château du XIIIème siècle dans un parc de 2500 hectares à la nature préservée. La Collection Garance Primat, sans cesse élargie depuis 2014, comporte 1000 œuvres. Les pièces contemporaines réalisées spécifiquement pour le site, explorent le lien qui existe entre la nature, l’art et la Science.
L’exposition, assurée par la commissaire Claudia Paetzold, est conçue comme une manifestation non figée, qui se transforme, en suivant le cours des mouvements planétaires.
Courant 2024, Jean-Marie Appriou installera une libellule en bronze. Quant à Caroline Corbasson, elle imaginera une oeuvre pour le solstice d’hiver. La clôture de l’exposition correspondra à l’équinoxe de printemps et coïncidera (à 48h près) avec la journée internationale de l’eau, le 22 mars 2024; ce qui déclenchera une nouvelle proposition.
L’exposition se prête à de nombreuses combinaisons, en jouant sur la matérialité et la temporalité des oeuvres produites. Les enchainements obéissent à des règles, selon la date des équinoxes, les deux périodes de l’année où le jour a une durée égale à celle de la nuit, d’un cercle polaire à l’autre et selon les solstices.
La zone humide d’eau douce est un élément à prendre en compte sur le Domaine.
Pour les philosophes grecs, l’eau est un élément de transformation perpétuelle au monde, la continuité et le changement, représentant les deux côtés du processus du devenir : d’un côté, le cycle de l’eau, mouvement immuable de la vie, et de l’autre l’aggravation, due aux variations de températures, ce qui a pour conséquence la diminution de la quantité d’eau douce et la hausse du niveau des océans.
Depuis quelques décennies, face aux nouvelles données du changement climatique, les sciences modernes sont critiquées, notamment le fait que la nature serait extérieure aux êtres humains. Néanmoins, on commence à accorder des droits aux animaux, et à garantir des personnalités juridiques à des fleuves et à des forêts.
L’eau très présente sur ce territoire, est devenue un médium dans l’art contemporain et se fait l’écho d’une nécessaire métamorphose.
Les étangs, eaux claires et calmes, incitent au repos et à la rêverie. L’artiste Irina Rasquinet avec la Mère Veilleuse, sculpture d’une mère qui protège sa progéniture et veille sur le lac. Cette « bonne fée » est porteuse d’une énergie bienveillante et rayonnante.
Le promeneur peut s’arrêter sur un banc tout proche, et se poser ou juste contempler le ciel inversé dans l’eau transparente de l’étang. On peut prendre conscience de ce qu’est la nature en réflection et d’en saisir une réflexion. Ici pas de monstre sous les eaux. La dimension cosmique de l’ancienne météorite, et la pertinence du temps comme suspendu, invite plutôt à regarder les étoiles ou à fermer les yeux, tout simplement, et lâcher-prise avec douceur.
L’eau ouvre tous les champs des possibles et rend accessible tous les recoins de la pensée.
L’eau se retrouve utilisée, dans différents courants artistiques, comme la vidéo, les performances ou les expériences à la frontière des arts et des sciences cognitives : notamment à la Laiterie, espace sur le domaine dédié aux expositions temporaires, avec des artistes comme Herman de Vries et son œuvre Water the music of sound.
Les sculptures flottantes, des installations interactives explorent de nouvelles façons d’habiter notre environnement. Sound System Versus Void Sequence (2021) d’Olafur Eliasson évoque des pigments fabriqués à partir de cristaux de l’ère glaciaire, soulignant le rôle de l’eau en tant qu’élément qui relie toute forme de vie. Une installation lumineuse immersive The Casting of Soon after Now (2021) nous offre une fenêtre sur la naissance de l’univers, avec ses reflets rappelant la lumière cosmique, tandis que Antireductionist Mirror Spiral (2021) dessine la forme d’une double hélice qui s’apparente à notre ADN cosmique.
L’installation monumentale in situ de Tomas Saraceno Cloud Cities : du sol au soleil (2022) trouve un écho à l’intérieur de l’espace d’exposition dans le double nuage Cumulonimbus M + Mw (2018) qui s’inspire des écosystèmes du Domaine pour parcourir des univers humains et non-humains, révélant les liens fragiles qui unissent ces mondes.
Pour explorer les propriétés acoustiques de son environnement, Tomoko Sauvage a créé une nouvelle performance pour l’inauguration de l’exposition. Dans l’une des sept étendues d’eau, six interprètes ont fait vibrer une série de bols chantant provenant de différentes régions d’Asie. Amplifiés par des hydrophones installés au fond du lac, leurs sons et vibrations se sont prolongés dans l’espace d’exposition au sein de l’installation For Floang Bells an Amplified Lake (where centenary mussels dwell) (2023).
Afin de poursuivre ce lien avec les éléments, Nina Canell, Days of inertia (2023), a versé de l’eau sur des roches résultant du choc tellurique de la météorite. L’artiste explore l’intervalle, les micro-phénomènes, les imperceptibles relations entre la pierre et l’eau.
Un autre sens est exploré par Sissel Tolaas où l’odeur de l’océan atlantique emplit l’espace, mettant en évidence l’interconnexion des eaux.
La libellule qui voyage entre ciel et terre, incarnant la conscience de soi et la sagesse de la transformation. Elle personnifie le changement et représente l’impermanence. Ces insectes naissent dans l’eau. Le Domaine est l’un des 20 sites d’observation de libellules en France. Les représentations de ces demoiselles ponctuent le parcours, sur les murs des édifices et en miniature sur les tables des hôtes.
L’autre élément à prendre en compte est la forêt. Si l’on choisit de parcourir une partie du domaine à pied ou en voiture électrique, l’installation de Lee Ufan, œuvre céleste et hors du temps en résonance avec l’esprit du lieu, est impressionnante et presque troublante. Il y a 200 millions d’années, une météorite est tombée dans l’espace que le Domaine occupe aujourd’hui. Inspiré par la nature, l’artiste a créé un cercle de 40 plaques d’acier rouge, avec graviers et pierres de granit en son centre. Ceci représente une constellation et lorsque le soleil les éclaire, l’ombre des roches se dessine sur le sol.
Proche du château, Tony Cragg exerce sa curiosité pour les formes organiques et les questions de masse et de surface que traduit la sculpture en bronze Early Form, à la croisée de la géométrie et de l’organique.
Puis surgit la Vénus de Wang Keping, 2020, réalisée en bois brut, qui accueille le visiteur à l’entrée du domaine. Elle suggère aux yeux de l’artiste, un lien entre l’arbre et le corps féminin, car tous deux selon son opinion, représentent l’énergie vitale, la croissance et la germination. « C’est la nature qui me murmure mon inspiration », précise-t-il.
D’autres artistes ne cessent de réenchanter la nature et nous invitent à nous reconnecter à nous-mêmes et prendre conscience de l’environnement qui nous entoure.
Primordial Waters
Jusqu’au 22 mars 2024
Domaine des Etangs
Auberge Resorts Collection, Massignac