Théodora Barat, Four Corners : court-métrage inédit pour festival inédit

Par Amélie Boulin17 juillet 2023In Articles, 2023

 

Extinction des lumières. Puis le silence. Dans la pénombre de l’Atomic Cinéma d’Aubigny-sur-Nère s’élève la note fa d’un générique homonyme : F’A’A pour Filmer l’Art et l’Architecture. Ce rendez-vous, premier dans le département du Cher, souhaite offrir une programmation variée et pointue de films et documentaires accessibles à tout public grâce à une contextualisation par les réalisateurs et les artistes eux-mêmes, ou par l’entremise de théoriciens et historiens de l’art. Sur trois jours, quatorze séances aux thématiques bien distinctes ont été organisées, projetant sur ce court laps de temps 45 films d’art ou sur l’art, avec de nombreuses prises de parole et discussions que n’ont pas manqué de faire surgir ces contenus parfois très expérimentaux.

Ce festival cinématographique est d’ailleurs la suite logique d’un tout nouveau format de résidence mis conjointement en place par Sylvie Boulanger et les Ateliers de Moison. Il se propose de soutenir les différentes étapes de création d’un film, documentaire ou film d’artiste jusqu’à sa diffusion en avant-première au festival F’A’A. Mis en contact avec des professionnels du monde de l’art, qu’ils soient critiques, historiens ou théoriciens, les artistes de cette résidence se voient encadrés dans leurs démarches de distribution et de médiation de leur film. La résidence F’A’A a choisi Théodora Barat pour inaugurer ce programme inédit. Artiste plasticienne, elle a été pensionnaire de la Villa Médicis pour l’année 2021-2022 et elle est aujourd’hui active dans le programme de recherche et création RADIAN.

Le film, produit par Les sœurs Jaouen, était révélé au soir du premier jour du festival. Intitulé Four Corners, le court-métrage prend pour décor cette région qui fait se rejoindre quatre états des Etats-Unis – l’Arizona, le Nouveau Mexique, l’Utah et le Colorado – en un point unique. Cette zone géographique se caractérise par des conditions arides, mais surtout par ses grands espaces que les autorités américaines exploitent depuis plusieurs décennies.

L’artiste souligne l’exploitation minière, les tests d’armes chimiques et l’enfouissement des déchets radioactifs comme des acteurs exploitants de ces hectares, limitrophes avec les terres indigènes qui en subissent l’influence. Le film est d’ailleurs introduit dans ce festival par la bande-annonce du long-métrage It came from outerspace de Jack Arnold qui reprend l’esthétique nucléaire pour symboliser l’arrivée d’extraterrestres maléfiques dans le désert d’Arizona, personnification des angoisses du continent nord-américain en pleine Guerre Froide. Cette science-fiction des années cinquante a considérablement marqué les artistes du land art, d’où notamment leur présence récurrente dans ces territoires, ce qui en fait un autre exploitant majeur des Four Corners. La projection du film de Théodora Barat est d’ailleurs mise en parallèle du Sun tunnels de Nancy Holt, court-métrage qui révèle, dans un fracas industriel, les coulisses de production des Sun tunnels, ces cylindres de béton. Déposés là dira-t-on miraculeusement tant le contraste est fort entre l’activité de production et le calme du désert, ils deviennent le Stonehenge mystique d’une humanité en crise dans les années 1970.

Le désert est en effet depuis toujours rattaché à une fonction initiatique. Terre inhospitalière, y survivre tient du miracle. Son caractère expérimental tient peut-être de cette aridité qui le rend vierge. Cet Ouest américain est d’ailleurs décrit comme « sans histoire, sans art, sans parure » dans le Court traité du paysage d’Alain Roger. Toujours est-il que de no-go westland du cinéma, il est devenu la dernière zone blanche à conquérir.

Le land art ne fait pas exception à la règle dans cette colonisation du territoire. L’artiste évoque à ce propos le caractère de terrain d’essai où l’ouvrage – d’art ou de bâtiment – se confronte à l’immensité d’un espace. Théodora Barat fait d’ailleurs le choix plastique d’une porosité entre les médiums. La succession de plans fixes au cadrage photographique joue de la dimension sculpturale du territoire dont la planéité est relevée par des éléments architecturaux installés de main d’homme. Les barrières colorées impeccables des exploitations minières contrastent avec les terrils en dégradés d’ocre de l’arrière-plan, et les visiteurs qui passent dans le cadre de la caméra fixe sont comme autant de perturbations supplémentaires dans cette captation vidéo d’un paysage monumental au mouvement imperceptible. L’artiste met ainsi en scène le vide et le rend politique en y superposant les paroles des guides captées lors des visites touristiques qui relatent cette colonisation en bonne et due forme d’un territoire amérindien.

Amélie Boulin


 

Festival F’A’A – Filmer l’Art et l’Architecture

Atomic Cinéma, 23 rue du Prieuré, Aubigny-sur-Nère, Centre-Val de Loire

30 juin au 2 juillet 2023