Stéphanie Pécourt : le ré-amarrage du Centre Wallonie-Bruxelles/Paris

Par Marie de La Fresnaye26 octobre 2023In Articles, 2023

 

Après une année de « nomadisme » et plus de 80 Hors les murs organisés à Paris et sur l’ensemble du territoire français, le CWB, installé en face du Centre Pompidou, a fêté sa réouverture en octobre. Sa directrice Stéphanie Pécourt nous dévoile les contours de la bouillonnante programmation intitulée Heures sauvages_Nef des marges dans l’ombre des certitudes qui, outre une anarkhè-exposition, concept d’œuvres matérielles et immatérielles, propose un ensemble de soirées ainsi que le 31ème Festival Le court en dit long.

 

Comme elle le résume si bien : « Ni musée, ni galerie, ni espace de conservation, ni territoire d’autocélébration, notre vaisseau entend être un xéno-espace où l’on entre sans déférence pour y découvrir des univers artistiques. » Larguez les amarres…

Marie de le Fresnaye : Avec quel état d’esprit envisagez-vous cette réouverture ?

Stéphanie Pécourt : Une impatience galvanisée par un enthousiasme débordant ! Rouvrir le Centre après un peu plus d’une année de fermeture pour travaux de rénovation génère à la fois une excitation et une légère appréhension sur la façon dont ce nouvel espace totalement re-potentialisé sera apprécié. Les travaux qui ont été engagés visaient à appuyer le positionnement artistique du Centre et véritablement les traduire. L’espace a été dépouillé de tout ornement et rendu à son armature d’origine – un espace brut, laboratoire qui j’espère sera apprécié.

MdF : Quel bilan faites-vous de l’ensemble de vos Hors les murs ? 

SP : Ces Hors Les Murs nous ont amenés à travailler avec de nombreuses équipes, à nous adapter à d’autres réalités que celles que nous maîtrisions. Cet inconfort fut salutaire et nous apprit beaucoup. Grâce à ces opportunités, ce sont plus de 200 artistes que nous avons pu continuer à accompagner, ce qui est énorme ! Ces collaborations ont en outre généré des liens forts qui se révèleront dans la prochaine saison qui sera largement contaminée par les synergies déployées lors de notre année de nomadisme.

MdF : Quelle vision aviez-vous de la création en France et est-elle la même à présent ? 

SP : Je connaissais bien avant mon arrivée la création contemporaine françaises en arts vivants, moins en arts visuels et hybrides. Depuis mon arrivée au Centre il y a quelques 4 ans, mon regard sur la création s’est épaissi, enrichi et approfondi. La création visuelle m’est apparue nettement moins muséale que celle que je préjugeais. J’ai le sentiment d’avoir le privilège d’être dans une place qui me donne à découvrir un état de création en pleine ébullition, puissant. De nombreux.euses.artistes belges sont français.e.s et vice-versa, c’est donc aussi des ponts que j’ai pu approfondir.

MdF : Quel est le concept de l’anarkhè-exposition ?

SP : C’est à la faveur de notre carte blanche accordée par la Fondation Fiminco que j’ai souhaité formaliser ce néologisme pour qualifier ce qu’intuitivement je concevais sous le statut de commissaire et qui me semblait réduit par le concept d’exposition. Je suis une adepte des néologismes. Ces phrases d’Ingeborg Bachmann m’obsèdent depuis toujours : « On ne construit pas un monde nouveau sans un langage nouveau » – « le langage c’est le châtiment » … je voulais traduire mon idée de projet archipélique en un mot qui l’induise. Ce néologisme m’a été inspiré du concept d’anarchitecture et du travail de Gordon Matta-Clark pour qualifier donc une morphologie singulière d’exposition, qui n’entend pas en être l’antithèse cependant. Une anarkhè-exposition se définit par son ontologie nomade – elle est pétrie d’œuvres développées in situ qui pour certaines sont éphémères et n’auront existé́ que par le souvenir qu’elles auront laissé à celles et ceux qui les auront vues, elles deviendront mythologies, souvenirs – une anarkhè-exposition est un territoire où cohabitent des œuvres matérielles et immatérielles, comme des œuvres sonores et où des traces d’agentivités persistent dans l’espace : archives, artefacts de gestes performatifs développés lors de sa mise en acte. Une anarkhè-exposition donne à imaginer ce qui y fut vécu et à projeter des états postérieurs. Elle est le réceptacle de performativités humaines et non humaines – où est célébré autant le « génius loci » d’artistes que d’éléments. Elle échappe par principe à sa totale maîtrise et à toute prétention à la conservation.

MdF : Les heures sauvages c’est aussi une large programmation : pouvez-vous nous citer quelques temps forts ? 

SP : L’ouverture des Heures sauvages_Nef des marges dans l’ombre des certitudes est une sorte de condensé de ce qui se déploiera du 13 au 29 octobre. Avec un total de 8 soirées de programmation. Soit 384 heures pour embrasser j’aime à le penser, la désobéissance épistémique selon une expression de Walter Mignolo. C’est une soirée dédiée aux films d’artistes – 25 arts seconde – dont le commissariat est signé avec la complicité d’un jeune commissaire dont le travail m’interpelle : Andy Rankin – c’est encore une soirée de débats Belgian THeory autour de la question des grammaires et régimes de domination avec une journaliste dont le dernier livre m’a fait l’effet d’un coup de poing : Louisa Yousfi Rester barbare, et la metteuse en scène Adeline Rosenstein qui a créé un spectacle rare Laboratoire Poison qui fut programmé en 2023 au T2G – c’est aussi une soirée de sondes sonores avec des lives de Shoko Igarashi, Bamby OFS et Roméo Poirier. C’est vous l’aurez compris, beaucoup et jamais trop.

Entretien réalisé par Marie de la Fresnaye

Les Heures Sauvages Nef des Marges dans l’ombre des certitudes

Du 13 au 29 octobre

Centre Wallonie-Bruxelles
127-129, rue Saint Martin – 75004 Paris