SPIRITUALITÉ ET ONIRISME AVEC GYAN PANCHAL

 

 

Au lendemain du 30ème anniversaire du MAMC de Saint-Etienne, la nouvelle directrice Aurélie Voltz nous annonce, en préambule de la visite, sa volonté d’inviter une fois par an un artiste en milieu de carrière, à investir cette nouvelle et vaste architecture et ce en résonnance avec la riche collection du musée.

 

Avec cette monographie, Gyan Panchal propose au visiteur de cheminer au travers de différents paysages où une trentaine d’œuvres retracent son parcours sur une dizaine d’années. Dans la filiation de l’art informel et de l’Arte Povera, sans oublier un clin d’œil à Marcel Duchamp, ce sculpteur s’intéresse aux matériaux délaissés, « non nobles », sans valeur ou sans qualité esthétique évidente. Lors de ses déambulations, tel un chiffonnier, il les glane. Car à ses yeux, chaque objet porte une valeur intrinsèque, une « charge » invisible à qui ne sait prendre le temps de la percevoir, qu’il tente de nous révéler, au travers de gestes simples tels ponçage, découpe, recouvrement, soustraction. « Il faut regarder les matériaux et voir ce qui s’y joue » déclare-t-il. Comment passe-t-on d’un objet à une sculpture ?

 

D’emblée, un monolithe en polystyrène blanc envahit un premier espace exigu sous une lumière crue, faisant vibrer la matière découpée et nous obligeant à le contourner. On y décèle peu à peu, les traces de « gestes de peu de chose », les accidents liés au hasard de coupes fortuites, des cassures involontaires dégageant une nouvelle courbe. Le matériau nous raconte son histoire. Un autre fragment jaune pâle laisse apparaître d’étranges lignes et courbes évoquant le nombre d’or, le tout dans un jeu permanent entre sculptural et pictural. La lumière diminue au fil des salles qui s’enchaînent, comme au cours d’une traversée de « moments climatiques ». Ne pas donner tout à voir immédiatement. Tel un archéologue, il faut prendre le temps, le temps de la collecte, le temps de l’exploration et du décryptage. Laver l’objet de son passé, afin d’en déplacer les codes et de le projeter dans un nouvel état, celui de la sculpture.

 

Jeune diplômé, Gyan Panchal réside tout d’abord à Paris et s’intéresse à son environnement immédiat, récoltant des matériaux de construction le plus souvent synthétiques, abandonnés sur les chantiers. Il les enduit parfois de substances naturelles – pétrole brut, bitume de Judée, curcuma -, explorant ainsi la rencontre entre naturel et artificiel. Tel ce bloc de polystyrène usiné, aux couleurs mordorées, tamponné de pétrole, lui donnant l’apparence d’un métal précieux. Une feuille de carton plume est mise en tension évoquant une certaine œuvre de Giovanni Anselmo. Une autre est enduite de bitume de Judée, révélateur utilisé en photographie et en gravure.

 

Plus loin, des sculptures anthropomorphes aux couleurs pastel couchées ou appuyées contre le mur conversent entre elles et nous invitent à quitter le monde urbain afin de pénétrer dans un milieu rural où réside désormais l’artiste. Ici, les titres étranges des pièces précédentes, issus d’un ancestral langage indo-européen, font place à des intitulés révélant les actions humaines et marquant le lien entre l’homme et le territoire, l’homme et l’animal – le pas, le vol, l’haleine… Gyan Panchal, à l’instar de l’anthropologue Philippe Descola, souhaite dépasser le dualisme qui oppose nature et culture en s’intéressant aux relations entre humains et non humains.

 

Dans la vaste nef du musée, sous une lumière douce et naturelle de fin de journée, des objets ont été abandonnés par le reflux de la marée, tels des corps fragmentés dispersés dans l’espace. Une botte solitaire, une jambe de combinaison, un gant, s’en vont, incomplets, claudiquant. La coque blanche d’un kayak de vitesse a interrompu son parcours en se brisant brutalement sur un bac de lait caillé, le renversant, dans une métaphore de nos choix de vie. Une main posée sur un silo tente d’apprivoiser une nature qui résiste.

 

Dans la dernière salle, sous une lumière irradiante, la couleur réapparaît avec des objets colorés et ludiques qui se font écho : lorsqu’un bac à sable vert rencontre une chenille en béton. Une épave bleue, exhumée du lac de Vassivière, sous la forme d’une lettre brisée incomplète, nous invite à résoudre un rébus. Le soleil brille à nouveau, au travers de cette bâche suspendue jaune pâle, teintée par le sel.

 

L’artiste nous révèle les richesses intérieures des matières et les joue dans une partition silencieuse à haut potentiel évocateur et poétique.

 

Par Sylvie Fontaine


Infos :

« Au seuil de soi »

Musée d’art moderne et contemporain Saint Etienne

rue Fernand Léger, Saint Priest en Jarez

jusqu’au 22 septembre