SANDRA ROCHA - Le moindre souffle
Sandra Rocha, née en 1974 aux Açores, vit aujourd’hui à Paris. C’est au Centre Photographique d’Île-de-France qu’elle présente Le moindre souffle, sa première exposition personnelle en France, sous le commissariat de Fannie Escoulen et de Nathalie Giraudeau.
Tu es née dans une île et après une quinzaine d’années à Lisbonne, tu habites Paris depuis 8 ans. Pourtant, malgré ton vécu urbain, l’environnement insulaire est déterminant dans ton œuvre…
Mon travail part d’un principe très simple : photographier quelque chose qui soit ressenti comme naturel – des animaux, des végétaux, des micro-organismes, des phénomènes physiques ou atmosphériques…
Je place très souvent l’humain dans un environnement où il tisse des liens avec le vivant. Les Açores sont un terrain parfait pour donner corps à cette approche du travail. Fort de lieux qui me sont familiers, de leur beauté et de la diversité de leurs expressions spectaculaires, l’archipel, empreint de volcanisme, est pour moi un terrain de travail formidable. Les eaux chaudes, colorées par le fer et mélangées aux eaux froides, les geysers qui éclatent dans des petites vasques fumantes, les fumerolles, les étendues de boue brûlantes ont des décors où l’exotisme perce au travers des différentes espèces de plantes vertes.
Ma première monographie, Anticyclone, annonçait dès 2010 mon retour à mes origines, aux territoires de mon enfance et de mon adolescence. J’entretiens avec l’île Terceira, en particulier, un rapport utérin, intense. Sur cette île je retrouve des liens affectifs, mes mémoires et celle de ma famille…Cette nostalgie, diffuse mais constante dans mon œuvre, se traduit par mon « hyper attention » à la fragilité et à la beauté des lieux, des choses et des gens.
Ton exposition au CPIF nous renvoie à un monde de quiétude où tout peut, à tout moment, se métamorphoser… Quelle en est la genèse ?
Ce projet a pris forme pendant les premiers mois du confinement 2020, marqués par l’incertitude collective et l’angoisse de l’humain face à ses fragilités. Nous sommes tous issus de cette matrice terrienne, mais qu’en avons-nous fait ? Avec l’emprise de l’homme sur la nature, notre civilisation nous garantira-t-elle l’harmonie entre les espèces ?
Par moments, en raison des effets psychologiques de la pandémie et des lectures qui m’ont accompagnée pendant cette période, j’ai cru à un renouvellement possible, qu’il nous resterait toujours Un moindre souffle… qui est d’abord le titre d’un magnifique texte de Jean-Christophe Bailly. Il nous raconte deux expériences qui démontrent que le néant n’existe pas, qu’il ne nous sera jamais accessible car la vie ne peut disparaître. Le texte L’oiseau blanc de John Berger nous présente l’art comme une réponse organisée à ce que la nature nous permet parfois de pressentir.
Enfin, dans Les Métamorphoses d’Ovide, la nature n’est pas qu’un cadre ou un décor. Au contraire, les humains y deviennent des animaux, des végétaux ou des minéraux, selon les punitions ou les récompenses décidées par les dieux. L’idée de métamorphose chez Ovide est liée à une hiérarchie du pouvoir et la cruauté des actes nous fait réfléchir à des thèmes d’actualité, comme la violence faite aux femmes ou aux homosexuels. Malgré la beauté du monde tout va mal…
Et c’est bien pour cela que, même si au premier abord on décèle sur mes images beauté et harmonie, on peut aussi y déchiffrer l’inquiétude d’un monde à venir. La beauté n’y est qu’un monde de paix apparente ouvert à toute transformation.
Ce n’est pas ta première exposition individuelle. Cependant, tu nous disais que celle-ci a pour toi un goût spécial… Pourquoi ?
D’abord, parce que c’est mon premier solo dans une institution en France ! En dehors de mes trois monographies éditées chez Loco, le public français n’a pas encore eu l’occasion de découvrir les autres médiums développés dans mon travail. Cette exposition en est l’occasion : on y trouve des images fixes et des images en mouvement, dans une rencontre féconde qui nous renvoie à nos états d’âme et à nos souffrances.
Mais ce « goût spécial » vient aussi du fait que j’ai pu donner une forme à ce projet en pleine pandémie. Nous étions partis aux Açores, pour quelques mois, avec ma famille et, de ce fait, l’expérience du confinement n’a pas été dramatique pour nous. Après l’angoisse initiale que nous avons tous ressentie, je me suis consacrée au travail et à l’écoute des sons de la terre, de la mer et des animaux, « cette communauté surprenante où nous introduit notre corps », pour reprendre les mots de Novalis.
Quels sont tes prochains projets ?
D’abord, Alta Pressão (Haute Pression), une résidence croisée entre l’archipel des Açores et la Bretagne (Terceira / Ouessant), autrement dit entre moi et François Joncour, un compositeur breton. Le projet est placé sous le commissariat d’Emmanuelle Hascoët et consiste en une installation immersive composée de quatre projections sonorisées. Nous allons la présenter à Brest et aux Açores en 2022.
À mes créations visuelles s’ajoutent les compositions musicales de François qu’il a construites à partir de sons captés sur les deux territoires. Nous sommes partis du mythe de la sirène, une représentation aussi féconde que puissante dans notre rapport souvent contradictoire à l’environnement, et de nos dénis devant l’immense catastrophe à venir.
En parallèle, je me lance dans une autre forme de collaboration, cette fois-ci avec l’architecture. L’Atelier Martel m’a invitée à composer les décors du hall d’entrée d’un immeuble à Boulogne-Billancourt où je vis actuellement.
Sandra Rocha, Le moindre souffle
Jusqu’au 19 décembre 2021
Rencontre publique avec l’artiste le 27 novembre
CPIF
107 Av. de la République, Pontault-Combault