Sandra Patron - Directrice du Capc

 

Des voix polyphoniques, de nouveaux récits de collection comme Le Tour du Jour en quatre-vingts mondes à valeur de manifeste, le projet porté par Sandra Patron pour le Capc, musée d’art contemporain de Bordeaux, ambitionne de placer véritablement le musée au cœur de la création contemporaine. La carte blanche donnée à l’artiste tchèque Eva Kotátková pour la nef transformée en Léviathan mi-poétique, mi-politique, l’arrivée de Cédric Fauq (ex Palais de Tokyo) comme commissaire en chef, la création de l’Académie des mutantes autour de la place de la performance et du programme de résidence, les Furtifs, sont autant de signes forts que Sandra Patron nous décrypte.

La carte blanche à Eva Kotátková : enjeux 

 

Son travail que j’ai découvert à la Biennale de l’art de Venise de 2013, au-delà de la question des collages, des objets et des cages qui convoquent métaphoriquement la notion de la contrainte, s’est développé autour de nouveaux éléments en lien avec le textile et la performance. Le cœur du projet interroge le système normatif qui au quotidien nous contraint et nous met dans des cases, en lien avec les recherches qu’elle mène sur différents types d’institutions (carcérales, psychiatriques, éducatives) et le rôle de la psychanalyse et de l’inconscient comme moteur puissant et échappatoire possible. Il y a toujours chez l’artiste un lien entre le corps social, le corps collectif, le corps politique et le corps intime. Ce frottement à l’œuvre est aussi convoqué par le choix des matériaux, la présence du métal, de la cage même s’il se dégage une dimension de l’ordre de la douceur, de l’inclusion de l’autre, symbolisées par des éléments de costumes, des textiles qui servent à envelopper ces créatures et à nous envelopper en tant que visiteurs.

De plus ce corps gigantesque mi-poisson, mi-humain devient le réceptacle et le médiateur d’une myriade d’histoires, 21 au total, racontées dans la tête du poisson et reprises par les éléments sculpturaux dispersés dans l’espace.

 

Mon corps n’est pas une île : le parcours

 

Nous sommes au sein d’un organisme vivant, un peu comme les lilliputiens d’un univers qui s’offre à nous. Cette installation défie les règles habituelles, car contrairement à ce que les artistes imaginent en général, nous ne pouvons pas embrasser d’un seul regard l’ensemble de la nef, nous sommes face à une image de confusion, tout à fait intentionnelle.

Les caisses ont été inspirées par celles utilisées dans les zoos et renvoient aussi, de façon indirecte, à l’histoire de l’Entrepôt Lainé, ancien lieu de stockage de denrées coloniales. Synonymes de classifications et de rangements, elles évoquent autant des états nomades et transitoires.

 

 

L’arrivée de Cédric Fauq, commissaire en chef

 

L’idée est de rompre avec l’idée de la figure de l’autorité qu’elle soit unique ou à plusieurs, un principe sur lequel toute l’équipe du Capc se retrouve, que ce soit Cédric Fauq mais également Marion Vasseur Raluy, curatrice des résidences ou des commissaires extérieurs invités selon un principe de voix polyphoniques qui m’inspire.

Ce qui m’a séduit dans la proposition de Cédric Fauq est sa façon de s’emparer du projet que je porte autour de la place donnée à l’art transdisciplinaire, une tendance forte chez les jeunes générations d’artistes qui incorporent naturellement des éléments performatifs ou provenant d’autres champs : théâtre, mode, comédie musicale, art olfactif… Cédric Fauq a conçu la programmation de l’Académie des mutantes, un terme qui fait référence à Léopold Senghor et à son expérience de l’Université des mutants et de la culture populaire.

 

Barbe à papa : l’invention de la fête pour les 50 ans du Capc (2023)

 

Cédric Fauq fait l’hypothèse de points communs historiques entre la fête foraine et les expositions d’art à partir de ce rapport au spectacle et à l’exhibition (mot anglais pour exposition) en écho au Grand Verre de Marcel Duchamp, cette broyeuse de chocolat qu’il importe du champ du divertissement et de la fête foraine. Cette thématique populaire offre plusieurs niveaux de lecture, la fête foraine étant cet endroit où tous les rejetés d’une société pouvaient s’exprimer. Un propos plus politique se dessine alors et d’autant plus à Bordeaux avec son passé colonial suggéré par le sucre de la barbe à papa.

 

Le prochain accrochage des collections : Amour systémique

 

Je préfère utiliser la terminologie de récits de collections, liée à l’état des lieux que j’avais mené à mon arrivée à partir d’une collection non pas encyclopédique mais incarnée et en prise avec des aventures artistiques singulières et forcément parcellaires. De plus cette notion induit une interrogation constante de cette collection afin d’ouvrir les champs de la représentation. Cédric Faug va s’emparer de ce principe dans une exposition collective intitulée Amour systémique suivant son intuition de départ d’un rapport au minimalisme très présent dans la collection du Capc qui se verra perturbé par la revendication d’affects.

 

Les Furtifs, le programme de résidence du Capc

 

J’emprunte ce titre à l’auteur de science-fiction culte Alain Damasio, des êtres qui se métamorphosent constamment en réponse à leur environnement. Une jolie image pour décrire cette nouvelle génération d’artistes internationaux pour qui l’espace d’exposition n’est plus le biotope naturel ou qui pense la production et la diffusion de l’art selon d’autres modalités, le Capc ayant de plus la capacité à mobiliser un certain nombre de forces vives du territoire.

 

L’exposition à la Base sous-marine avec le Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA

 

Cela remonte à une envie partagée avec Claire Jacquet, directrice du Frac, à partir de l’histoire commune de nos deux collections et de notre imaginaire de commissaires projeté sur la Base sous-marine, un espace hors norme et vrai défi de l’obscurité. Il ne s’agit pas d’une présentation de nos collections mais d’une véritable exposition qui file la métaphore de cette hypernuit, titre emprunté à Bertrand Belin. Entre la fantasmagorie du rêve et la nuit de l’histoire et des menaces dans cet ancien QG de la marine de l’Allemagne nazie. D’une hypernuit sociale et politique nous glisserons ainsi peu à peu vers une nuit plus onirique et festive.


Infos pratiques :

 

EVA KOŤÁTKOVÁ, Mon corps n’est pas une île

Jusqu’au 29 mai 2022

 

Le Tour du jour en quatre-vingts mondes

Jusqu’au 23 octobre 2022

 

Capc, musée d’art contemporain de Bordeaux

7 rue Ferrere, Bordeaux

 

Hypernuit

Du 14 avril au 28 août 2022

Base sous-marine

284 boulevard Alfred Daney, Bordeaux