Roger Ballen : une image carrée dans un labyrinthe

Par Gilles Kraemer14 novembre 2019In Articles, Paris, 2019, Revue #23

 » Chaque fois que je visite Paris année après année, j’ai hâte de visiter la Halle Saint Pierre […]. L’art qu’on peut voir à la Halle Saint Pierre est authentique, essentiel, implicitement compréhensible  » souligne Roger Ballen (1950, New York). Après des études de psychologie et un doctorat en économie minière il part, en 1982, en Afrique du Sud. Il y exerce son métier de géologue, découvre banlieues et campagnes, pratique la photographie. Ce médium, il le connaît depuis son enfance, sa mère travaillait à l’agence Magnum avant d’ouvrir une galerie de photographies à New York.

Aux Rencontres de la photographie d’Arles de 2017, son installation The House of the Ballenesque dans un squatt abandonné est restée dans les mémoires. L’adjectif  » ballenesque  » est passé dans le langage pour désigner son écriture esthétique de marginalité, de grotesque, de burlesque, de chaos organisé, dans  » un univers de tourment intérieur angoissant dans cette mise en scène de l’absurde  » comme le souligne Martine Lusardy, commissaire de cette première rétrospective en France; à la Halle Saint Pierre. Environs 80 photographies sont montrées, des séries Fils et câbles, Dessiner Humains, Animaux, Réel/irréel, Apparitions jusqu’à la survenance de la couleur en 2018.  » Mes espaces […] peuvent être définis comme des incarnations visuelles inconscientes du subconscient  » précise-t-il (1). Cette captation, il la visualise dans des tirages dans  » un format carré, c’est à mes yeux la forme parfaite. Il y a un idéal géométrique dans le carré. Tous les éléments sont à égalité, ce qui m’est primordial ».

Sa réponse artistique du monde qu’il capte est celle la théâtralisation mise en scène à Paris au sens propre du terme – avec une dizaine d’installations autour de son mannequin Roger’s Roger – en un parcours souhaité labyrinthique. Revisitera-t-il durant les 10 mois de son exposition les installations qu’il a créées in situ car quelques jours avant l’ouverture de son exposition, il se rendit à la Braderie de Lille et y collecta des objets qu’il inclut dans les différentes saynetes de son univers ?

Son monde est celui de l’hermétique, du clos, sans porte ni fenêtre, un enfermement comme le ressenti du monde dans lequel vivent les blancs, non les riches mais les marginaux dans leur misère, une autre image de cette nation qui fut celle de l’apartheid. Le fil de fer, la constance du mur, la présence de l’animal – de très nombreux rats – l’ours de l’enfance reviennent souvent.

Il livre la condition humaine sans fard, cette prison humaine dont l’échappatoire est de dessiner sur les murs. Comme le note Martine Lusardy,  » le marginal sort de son état, redevenant « je » à travers son geste créatif, cette expression d’un moment de sa liberté  ».

Dans sa démarche comment ne pas évoquer le géologue de formation ?  » À l’instar de la géologie, mon esthétique s’est développée couche après couche « , il a construit son univers, de photographies d’intérieurs jusqu’à la captation du moment où ses interlocuteurs deviennent acteurs de leur vie.

Dans son monde  » de l’Outland, de la terre étrangère  » où  » l’humour noir /absurde a toujours fait partie de mon imagerie « , l’on y retrouve des atmosphères à la Chaissac, Louise Bourgeois, Jean Dubuffet, Brassaï, Hans Bellmer, le surréalisme, le théâtre et les écrits de Beckett.

Ce labyrinthe de la vie qu’il a inscrit dans le carré de son cadrage pour donner à comprendre la psychée humaine, l’absurdité de la vie.

(1) entretien de Roger Ballen avec Martine Lusardy paru dans Le monde selon Roger Ballen de Colin Rhodes, éditions Thames & Hudson, 2019.

 

Par Gilles Kraemer


Infos :

Le monde selon Roger Ballen

Halle Saint Pierre

2, rue Ronsard – Paris 18e

jusqu’au 31 juillet 2020