Rétrospective Martin Parr au FRAC Bretagne

 

« Nous enjambions des corps, nous nous moquions des gros ventres et critiquions les femmes. On entrevoyait sur une chaise longue une nudité osseuse, enfermée dans un deux pièces, soutien-gorge et culotte. Elle était bronzée par zones ; son ventre découvert montrait la marque du précédent costume de bain. Les ongles de ses pieds étaient rouge sang. »
Cesare Pavese, La Plage, 1956

 

A travers quatorze séries emblématiques de Martin Parr, depuis ses « Noir et Blanc » de 1977, 500 images sont réparties au FRAC et dans le parc du Thabor à Rennes.

 

Qui ne reconnaît pas les photographies de Martin Parr, sur la surconsommation et le tourisme de masse, d’un simple coup d’œil ? Si le focus est mis sur un détail grotesque, celui-ci devient effrayant en ce qu’il symbolise le reflet d’habitudes d’achats et de loisirs de la même classe sociale, au Royaume-Uni. Beaucoup de ses photographies ont été publiées. Car si son style est aisément identifiable, ne cherche-t-il pas à réaliser des reportages différents, au point de ne plus étonner justement ? Pour lui, une bonne photo doit être bien « construite ». Elle doit être ambiguë, ce qui signifie que l’interprétation est équivoque. Selon une interview donnée par le photographe pour le journal The Telegraph, l’emballage de la nourriture dans les supermarchés masque le plus souvent l’utilisation d’additifs néfastes pour la santé. Il décide alors de photographier tel quel, ce que voient les consommateurs sans réfléchir. Tout en considérant que la photographie n’est que mensonge et que son travail est de remettre en question ce constat.

 

Le cliché doit bousculer le spectateur, lui donner matière à réfléchir et à ne pas se contenter du premier regard, posé à la surface. Contempler, surtout lorsque les images se rapprochent dangereusement de nos yeux au point de ne plus voir le monde qui nous environne, c’est-à-dire, sans écran. Observons ce qui se passe dans les musées au cours d’expositions d’œuvres d’art : la plupart n’admirent même plus les peintures ou les sculptures avec leur propre regard mais au travers de l’écran de leur smartphone qui les mémorise et inventorie ; donc de devenir un témoin indirect du monde.

 

Le photographe Martin Parr a démarré dans les années 70 avec un thème de prédilection : la classe ouvrière qui subit les réformes d’une législation sur le pouvoir syndical et sur la protection de l’emploi. Il convient, pour Margaret Thatcher, premier ministre britannique en 1979, de redonner à la population le sens de l’effort et de la réussite individuelle, en réduisant le rôle des syndicats et de l’Etat. A ses détracteurs, elle assène un cinglant « There is no alternative ». Tout examen de l’économie britannique dans ces années aurait révélé trois grandes maladies chroniques : inflation, faible croissance et augmentation du chômage.

 

Martin Parr s’installe à Hebden Bridge, ancienne ville textile, après avoir suivi des études de photographies en 1975. Il réalise un corpus d’oeuvres en noir et blanc, s’attaquant aux expressions des valeurs traditionnelles et à leur déclin au Nord de l’Angleterre, à travers la série « non conformist » (1970-1980).

Il s’invite à tous les événements de la communauté rurale, relatant des scènes où tous les invités se précipitent autour d’un buffet, ou encore dans une chapelle baptiste lorsque les femmes sont serrées les unes contre les autres, assises sur un banc en bois alors qu’à l’étage les chanteurs sont installés de manière clairsemée.

Le photographe scrute les habitudes et codes des différentes communautés dans les rues des banlieues de Manchester. Peu s’y intéressent à ce moment-là. Il plonge dans une société en pleine mutation et produit une mosaïque de clichés anglais, des stations balnéaires à un événement national tel le jeu de cricket.

Il raconte avec beaucoup d’auto-dérision et de lucidité caustique. Il est difficile pour les « non anglais » de savoir qui ils sont vraiment. Ont-ils besoin de se définir ? Adaptables et pragmatiques sont les deux caractéristiques qui reviennent le plus souvent chez les spécialistes du Royaume-Uni. Le peuple anglais refuse des étiquettes et refuse de se définir. Martin Parr réalise une sorte d’inventaire à la Prévert et saisit des corps aux couleurs outrageuses en gros plan et au flash : « je photographie de plus en plus des morceaux de gens…l’avantage c’est que cela les rend moins reconnaissables ». Ce qui compte sans doute dans leur tenue, c’est la théâtralité : perruque blonde, faux cils, bas résille troués, robe moulante trop courte. C’est une façon de montrer la personne que l’on a envie d’être.

 

L’humour comme une armure contre le reste de la société ? Serait-ce cela la matrice chez Martin Parr?
Quand deux anglais se rencontrent, ils parlent de météo et tentent de ne jamais être trop contents ou trop mécontents. Dans la série « Bad Weather », 1980, l’excuse est sans doute qu’il faut briser la glace et le malaise social.

 

La série en couleur de 1986 « Last Resort » annonce l’un de ses autres thèmes favoris : les vacances au bord de la mer, en particulier la plage et l’agitation touristique. Déjà l’imaginaire du train en Grande-Bretagne avait développé l’envie de partir à la mer au XIX e siècle. Cette série en couleurs, a été réalisée dans la ville de New Brighton, près de Liverpool, où l’espace bondé du Lido, a été photographié entre 1983 et 1985. Bien que l’avenir de cet espace des bains ait été incertain, une tempête a accéléré le processus, entraînant la démolition de l’ensemble de la structure art déco en 1990. Qui dit bain de mer, dit bain de foule. Aller à la plage fait partie du droit au loisir. C’est un lieu où l’on se relâche. « La plage est un lieu où les gens baissent la garde, révélant les secrets de leurs corps, de leurs habitudes et de leurs relations », d’après le sociologue Jean Didier Urbain qui a publié de nombreux livres à ce sujet. La densité y est très forte. Et chacun pose son drap de bain à côté du voisin. Pas de cloison. Les vêtus observent les dévêtus. La plage gomme les conflits : il n’y en a guère sur une plage. On se dissipe et on s’y exhibe. C’est un terrain de jeux extraordinaire pour Martin Parr qui cherche peut-être à retrouver l’innocence des deux enfants qui dégustent des glaces fondant au soleil plus rapidement qu’ils ne le souhaiteraient. Il saisit le stand de hot-dog, pris d’assaut, sans concession. Ou bien arrêt sur un couple, assis face à face, silencieux et ne se regardant pas. Un couple qui se côtoierait sans même plus se voir, sans se rendre compte de leur présence. S’agit-il de l’allégorie des photographies de l’auteur ?

 

Un autre sujet passionne les Anglais : la maison. Comme le dit le dicton : « la maison d’un anglais est son château ». Martin Parr se saisit des intérieurs et des mises en scènes de familles assises dans leur canapé, de la mode, tant vestimentaire qu’en matière de décoration, pour mieux cerner une identité. Drôle et effrayant à la fois. On hésite entre le rire ou une aversion devant ces scènes.

 


INFOS:

FRAC BRETAGNE
19 avenue André Mussat, Rennes

Parc du Thabor, Orangerie,
Place Saint-Mélaine, Rennes

du 13 juin jusqu’au 24 janvier 2021