Ressentir le vivant

Par Grigori Michel25 novembre 2022In Articles, 2022

 

 

Pour conclure sa deuxième saison de résidences de recherche et de création, la fondation LAccolade – Institut de France* présente une exposition qui rassemble leurs résidents avec des artistes invités. Catherine Dobler, fondatrice de la LAccolade, et Christopher Yggdre, curateur de l’exposition, proposent un titre La Vie Enchevêtrée en référence à l’ouvrage de Merlin Sheldrake intitulé The Entangled Life.

 

La vie enchevêtrée est une exposition où le propos artistique, intellectuellement riche, crée les conditions propices à la réflexion et à la contemplation. Le curateur a identifié des artistes en lien avec l’axe de recherche pour donner lieu ensuite à cette exposition collective.

Cette saison, il s’agit de traiter du vivant comme un entrelacement et non pas comme une séparation. A partir de là, l’exposition nous donne à voir une perception du vivant comme une continuité emmêlée ou entrelacée. Pour cela, les pratiques textiles sont convoquées pour activer l’imaginaire de quelque chose assez proche de ce nouvel esprit biologique : la symbiose.

Au XIXe siècle, Anton de Bary avait été le premier à émettre l’hypothèse qu’il existe des relations bénéfiques entre les organismes, qu’il appelle symbiose. Moqué à l’époque par le courant dominant en biologie qui n’envisageait le vivant que comme un champ de bataille où les relations relevaient uniquement de la prédation, c’est finalement l’étude de l’infiniment petit, tels que les microorganismes, qui a permis de comprendre que la vie sur Terre n’a été possible que par des coopérations mutuelles.  Christopher Yggdre souligne que « sans ces symbioses microbiennes, bactériennes ou autre il n’y aurait pas eu d’oxygène et donc de vie ».

Les microorganismes sont à l’origine de la vie sur terre. C’est donc de la vie dont il est question dans cette exposition qui ne cherche pas à reproduire un laboratoire scientifique mais plutôt à nous plonger dans un univers artistique vivant et organique. Les résidents et des artistes invités ont alors été amenés à créer des œuvres qui remettent au premier plan les relations fondamentales et vitales bien qu’elles soient imperceptibles.

Ce sont trois créations d’Élise Peroi qui ouvrent l’exposition. Accompagnée d’un jardin suspendu où le tissage part à l’infini, une structure tissée fait apparaître par superposition un arbre qui pourrait se confondre en paysage. Un dialogue est engagé avec une œuvre de Laura Bartier qui place les observateurs face à un portrait végétal. Elle rend évident la présence du végétal en lui donnant un statut particulier alors qu’il est souvent négligemment foulé par nos pieds.

 

Dans la salle suivante, dans une œuvre manifeste, les artistes du collectif FIBRA interrogent leurs propres pratiques, leurs propres relations au vivant sous la forme d’une cartographie constituée d’éléments naturels. Il y a quelque chose de l’ordre du cri, du déchirement tout en essayant de recoller ce qui s’est délité. A côté, Janaina Mello Landini capte alors l’attention pour ensuite démultiplier les perspectives.

 

Une troisième salle propose d’explorer un réseau souterrain, celui des orties. A partir de fibres d’ortie et de cuivre, Luz Moreno Pinart présente une installation de structures tubulaires déclinant des gammes chromatiques. Parallèlement, Brankica Zilovic Chauvain détourne la géographie classique pour imaginer une nouvelle cartographie du monde.

En retournant sur nos pas, une pièce très vivante d’Amy Gross représente l’infiniment petit dans ses processus de symbiose. Les couleurs vives, dans les tonalités du vert et de l’ocre, font penser au lichen et à la mousse, premiers organismes qui ont permis de comprendre ce phénomène.

A l’étage, Élodie Antoine, à partir de techniques textiles, contamine l’espace avec ses limaces de lin au sol et ses champignons sur les murs. Il y a quelque chose d’ambivalent : la douceur des matériaux utilisés et le malaise face à ce qui est représenté, imaginé.

Enfin, le collectif Les Matribiotes (Luz Moreno Pinart et Charlotte Gautier Van Tour) clôture l’exposition par une œuvre immersive qui mobilise les sens gustatif, olfactif, visuel, auditif et tactile. Cette installation contemplative et introspective met en évidence des dynamiques qui agissent en nous et qui lient les individus aux bactéries. Ce plaidoyer pour une reconnaissance du vivant à travers la symbiose permettra certainement à chacun de méditer sur l’interdépendance qui assure la survie de toutes les formes de vie.

 

En conclusion de cette visite, Christopher Yggdre nous confie que la troisième saison de résidences de recherche et de création, portera sur Lumière du vivant, esthétique de la bioluminescence et que la Fondation développera des partenariats avec des laboratoires.

 

*La Fondation LAccolade – Institut de France, créée en octobre 2020 à l’initiative de Catherine Dobler, s’attache à « soutenir, promouvoir et favoriser la création artistique » notamment à travers celles et ceux dont la démarche est portée sur « les thèmes que sont l’eau, l’environnement, la fragilité du vivant et le féminin ». La fondation LAccolade concrétise sa vocation en organisant et en finançant des résidences de recherche et de création, en attribuant des bourses, en soutenant tout type d’évènement et de lieux de diffusion de la création artistique et en valorisant des fonds d’archives consacrés à des femmes qui ont eu une importance historique ou artistique.

Pour Catherine Dobler, la Fondation LAccolade est un engagement « attentif au vivant, aux autres et aussi à ce qu’on fait tous les jours pour essayer d’améliorer les choses ». Les artistes identifiés sont également animés par cet état d’esprit dans leurs créations et dans leur vie personnelle. Par ailleurs, elle défend l’idée qu’« il y a un parallèle à faire entre la femme et la nature en raison de la façon dont elles ont été traitées à travers le temps ». Aussi, une attention particulière est accordée aux propos artistiques qui abordent le féminin et la nature.


INFOS :

La Vie Enchevêtrée

Art entrelacé et tissé – Formes et métaphores du vivant

Chez Wilde, 4 rue François Miron, 75004 Paris

Exposition collective du 17 au 30 novembre 2022 – Tous les jours 11h à 19h

 

Avec les artistes Élodie Antoine, Laura Bartier, Amy Gross, Janaina Mello Landini, Luz Moreno Pinart, Élise Peroi, Brankica Zilovic Chauvain, et les collectifs d’artistes, FIBRA (Gabriella Flores del Pozo, Lucia Monge, Gianine Tabja), et Les Matribiotes (Luz Moreno Pinart, Charlotte Gautier Van Tour)

Curateur : Christopher Yggdre – Production : Fondation LAccolade – Institut de France

Samedi 26 et dimanche 27 novembre : performance Le Symbiosium par le collectif Matribiotes