(Re)Prise de pouvoir à Jeune Création

 

Quelques pas hors de la zone de travaux de Komunuma, nouvelle bulle culturelle romainvilloise, et nous voici propulsés dans une véritable caverne d’Ali Baba, galerie provocatrice aux parois chargées, pourtant nullement encombrées. L’abondance d’œuvres décontenance au premier abord. Le pouvoir se charge de vous #2 désoriente, interpelle, submerge. Tel est le but que Jeune Création s’est fixé afin de confronter le regardeur aux diverses problématiques de société et aux enjeux d’actualité abordés.

 

Sept femmes défient le visiteur dès l’entrée. L’imposante fresque de Ludivine Gonthier fait face à la baie vitrée recouverte de posters, Recycling Europa, projet de confinement d’Elena Costelian mesurant nature et portée des slogans politiques. « La fin est un bon début de l’Histoire » apparaît à travers la peinture bleue de l’un d’eux. Un pan de mur voisin dévoile une affiche « Black Lives Matter » par Dimitri Arcanger. Signes évidents des discussions animant particulièrement nos dernières semaines, ces premières œuvres introduisent dès lors la teneur des réflexions de l’exposition.

 

Initialement née d’une proposition au sein d’une précédente programmation, Le pouvoir se charge de vous #2 conserve de sa première édition ce rôle de fenêtre : ouverture sur des perspectives multiples et engagées. Elle en décuple néanmoins l’échelle en installant les travaux de 103 artistes, aux générations, discours et médias variés, sur les deux étages de la galerie. Sa portée n’en est pas pour le moins éclatée. De cette série d’expositions, empruntant son titre à une lithographie de 1976 par Paul Rebeyrolle, émane l’Histoire même de Jeune Création. En 1949, ce même artiste crée Jeune Peinture : un salon, puis association, qui investira dès les années 1960 les grands débats politiques et soutiendra jusqu’à nos jours l’engagement artistique. D’ailleurs, si le salon de 1969 intitulé « police et culture » fait spécialement écho à notre contexte actuel agité, il résonne tout autant avec cet abus de pouvoir contesté de l’uniforme que revêt ici le pantin de Max Coulon. Tandis qu’il surveille la pièce sous une inoffensive apparence de jouet, sa matraque au poing, un discret hommage à Adama Traoré se cache derrière le CRS miniaturisé. Dispersés dans l’espace, les pavés brisés de Xavier Dartayre, aux vérités gravées dans le béton armé, rappellent, quant à eux, la brutalité de certains affrontements.

 

A l’étage, sur l’un des murs trône un alignement d’allumettes entamées, à peine consumées. Contando de Natalia Villanueva Linare évoque un rapport au temps étirable à l’infini, construit sur la répétition d’une même action. Bien qu’éphémères, l’accumulation de ces étincelles ne déclenchera-t-elle pas quelque brasier incendiaire ? Telle une réponse, cette imagerie se répète dans un cliché avoisinant d’Hervé Lassïnce, où un feu rougeoyant se détache de l’obscurité. Levons à peine les yeux et nous découvrons une peinture de Franck Omer, au format intimiste du polaroïd vintage revisité, dans laquelle une mitraillette fait rageusement feu sous la main d’une fillette. L’accrochage d’en face poursuit cette métaphore, Mathieu Legrand-Losfeld préservant sous vitre un livre calciné, survivant de quelque autodafé ? L’embrasement, symbole de lutte, d’espoir, de destruction, de pouvoir, se découvre alors comme l’un des thèmes explorés.

 

C’est donc, on le comprend, par cet assemblage impromptu que se tissent de nombreuses pistes de réflexion au sein de l’exposition. C’est par cette transversalité de lectures des œuvres que s’affirment différentes propositions d’argumentation, à travers les sujets, les époques.  De la religion à la fétichisation, du queer au cocktail molotov, d’Emile Zola durant son exil à Ceija Stojka livrant en peinture son expérience des camps de concentration, des jeunes diplômés des Beaux-Arts au peintre de rue… Le pouvoir se charge de vous #2 décloisonne l’art.

 

« Pouvoir » : un verbe, une possibilité, mais aussi une possession, une inégalité systématiquement source de conflictualité. Chacun des artistes en apporte ici son interprétation. Tandis qu’UNTEL tue le pouvoir d’achat avec un sac en papier clamant le retour du troc, Julio Villani, lui, nous confronte directement au choix de trois prises (de courant) : celle de la parole, de la conscience, et celle du pouvoir. Nombreuses aussi sont les œuvres à l’échelle rétrécie. Les miniatures sous cloche de Jeremy Chabaud suggèreraient-elles une tentative de reprise d’un pouvoir qui nous échappe ?

 


INFOS:

Jeune Création

Le pouvoir se charge de vous #2

Galerie Jeune Création

43 rue de la Commune de Paris, Romainville

Exposition collective du 10 juin au 10 juillet 2020

Du mercredi au samedi de 12h à 18h