Rencontre avec Diane Dufour, fondatrice et directrice du BAL

Directrice de 2000 à 2007 de Magnum Photos, Diane Dufour crée LE BAL en 2010 avec Raymond Depardon, dans une ancienne salle du Paris des années folles.

Pensé comme une plateforme autour des enjeux de l’image-document, et reconnu internationalement pour l’exigence de sa ligne et de ses expositions, LE BAL déploie parallèlement ses actions d’éducation à l’image avec son pôle pédagogique La Fabrique du Regard. Diane Dufour élargit le spectre avec la collection de textes de références Les Carnets du BAL en partenariat avec l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et le Centre National d’Art Contemporain. Toujours dans une perspective citoyenne et à la croisée des genres, LE BAL est devenu un lieu incontournable de la scène photographique parisienne. A l’occasion de l’ouverture de l’exposition dédiée à la plasticienne allemande Barbara Probst, qui prolonge et interroge ces nouvelles perspectives de l’image et son autorité, Diane Dufour a répondu à nos questions. 

 

1. Genèse de l’exposition Barbara Probst en résonnance avec votre programmation annuelle autour du dispositif 

J’ai découvert le travail de Barbara il y a quelques années dans un livre publié chez Steidl qui montrait de nombreuses facettes de  son œuvre.

Au BAL, nous interrogeons les enjeux de la représentation, ce qui est au cœur de sa démarche.

De la même façon qu’elle poursuit des lectures plurielles de l’image dans ses Exposures# (natures mortes, évocation des volumes ou fiction), je poursuis aussi des lignes multiples autour de l’image en tant qu’équation à résoudre.

Ici ce ne sont pas tant le sujet représenté, le moment tel qu’il est figuré par ses différentes vues ou bien les choix techniques de la photographe (le noir et blanc ou la couleur, la distance au sujet ou le cadrage) qui importent, mais plutôt ce qui préside à l’expérience ou l’entendement du regardeur face à de telles images. Pour elle, l’image fait l’objet de multiples rebonds, entre celui qui produit l’image et se livre ou non dans les choix qu’il a opérés, et ceux qui vont la regarder et l’anticiper, comme par exemple Frédéric Paul et moi-même :  tous deux commissaires de l’exposition, nous n’avons pourtant pas la même interprétation.

L’œuvre de Barbara, parce qu’elle est ambigüe et ouverte, va permettre au spectateur de s’y glisser et d’y voir les codes d’une scène de crime ou d’une œuvre de Giorgio De Chirico, ou encore un rappel des ellipses chères à Alain Robbe-Grillet.

 

2. Quelle est la clé selon vous du succès du BAL?

Le propos du BAL, ses questionnements, sont apparus comme très lisibles à notre public et assez rapidement. Nous avons plusieurs lignes de programmation, dont ces enjeux que nous venons d’évoquer, mais également le soutien à la jeune création à travers la production de nouveaux projets comme avec Clément Cogitore lauréat de notre Prix LE BAL de la jeune création avec l’ADAGP, qui s’est vu octroyer le prix Marcel Duchamp. Enfin une 3ème ligne autour de la requalification sur l’échiquier de l’histoire de l’art, de photographes, vidéastes, cinéastes qui n’ont jamais été exposés en France ou ont disparu des radars officiels, comme le montre le succès de notre exposition sur le photographe américain Dave Heath, totalement inconnu du public français avant que nous le présentions.

Ce panorama brosse l’identité politique du BAL, notre volonté d’inscrire ce lieu dans la cité (au sens étymologique grec de polis), une démarche qui convoque le réel et va forcément dire quelque chose du monde contemporain dans lequel on vit. La très belle formule de Giorgio Agamben « de qui et de quoi sommes nous les contemporains » accompagne l’histoire de ce lieu.

L’image, qu’elle soit fixe ou en mouvement, va nous aider à appréhender de nouveaux langages comme avec Lewis Baltz, Antoine d’Agata, Paul Graham.. mais aussi au travers de ces nouvelles formes, le monde contemporain. Ce n’est pas un hasard si nous montrons aujourd’hui le travail de Barbara Probst qui pose la question de la vérité. Est-elle unique ou plurielle ? Comment le point de vue détermine le sens de l’image, et donc préexiste à la réalité etc. Des questions fondamentales face à ce trouble qui traverse actuellement la notion de vérité en photographie. On peut faire dire à la photographie tout et son contraire. Cette concomitance des enjeux est essentielle.

Je pense que LE BAL doit être un lieu d’éblouissement, avec cette émotion suscitée mais aussi un lieu de questionnement sur le trouble qui habite l’image aujourd’hui. 

 

3. Bouleversements actuels du medium photographique et place du documentaire 

Il y a toujours eu cette idée de devoir opérer des stratégies différentes pour tenter de rendre compte du monde par la photographie tout en intégrant les limites de l’exercice. Ce n’est pas nouveau mais il ne faut pas confondre deux choses : d’une part, l’image et son flux constant aujourd’hui, et notre appréhension visuelle d’un évènement forcément instable, incomplet et mouvant. Les photographes documentaires peuvent avoir le sentiment de nager en haute mer face à cette fragmentation du réel, sentiment accentué par la multiplicité des approches, leur simultanéité, leur nombre.

D’autre part, les artistes ont exploré depuis longtemps et sous toutes leurs formes, les limites et potentiels du medium photographique. Par exemple, avec Provoke, Takuma Nakahira parlait dès 1970 de la fin du langage photographique, avec le travail exceptionnel de Gilles Peress en Irlande du Nord que nous allons montrer en 2020, nous retrouvons cette tentative d’anthropologie visuelle pour essayer de restituer la complexité du réel et toutes les dimensions du conflit en simultané.

4. Mode de fonctionnement du BAL et des expositions qui rejouent à chaque fois le lieu

Chaque exposition a son modèle. C’est un exercice à chaque fois de réunir, d’une part l’artiste qui, j’espère, est fier d’exposer au BAL et de s’inscrire dans son histoire, d’autre part : les collectionneurs, les prêteurs, les galeries, les musées, les éditeurs, et au delà d’aller chercher des  soutiens pour permettre la rencontre de l’œuvre avec le public.

Nous apportons beaucoup de soin à chacune de nos scénographies, ici des murs et un système d’éclairage totalement repensé, grâce à notre scénographe Cyril Delhomme qui à chaque fois est partie prenante avec le(s) commissaire(s) et l’artiste pour être au plus juste. Chaque installation a ses raisons, il n’y a jamais de gratuité dans nos choix. Barbara est tellement précise dans ses prises de vue qu’elle l’est forcément quant à la présentation de ses images ; c’est bien la spatialité qui est en jeu ici. Par exemple, il était crucial pour elle que son Exposure #1 soit présentée dans un angle de l’espace d’exposition afin de créer des résonances avec l’espace représenté dans l’image.

5. Rencontres décisives dans votre parcours

Mon parcours est une suite de rencontres décisives. N’étant ni historienne de l’art, ni galeriste, la création du BAL était une aventure en soi, une suite de rebonds. C’est la rencontre avec une œuvre ou avec un commissaire, un galeriste, un éditeur ou un livre qui m’appelle et me conduit ensuite à tirer des fils pour essayer de faire partager au public mes questionnements, mes doutes, mes joies..

J’adopte souvent la position du néophyte. 

Ce qui m’intéresse, c’est de raconter les histoires autour de la démarche du photographe et pourquoi ce travail bouscule quelque chose du langage ou de l’appréhension du réel.

Comme si l’on sautait d’une pierre à l’autre dans un jardin zen.

Une citation qui vous inspire.

Cette citation de Marc Augé, un ethnologue et anthropologue français, me paraît au cœur de la démarche du BAL : « Comment représenter un monde qui se définit par la représentation, qui ne cesse de s’enregistrer s’enregistrant ? »

Prochainement au BAL :

Sigmar POLKE

 

Par Marie de La Fresnaye


Infos :

Barbara Probst

The moment in space

jusqu’au 25 août