Raphaël Maman – des normes aux formes
Né à Paris en 1993, Raphaël Maman est diplômé des Arts Décoratifs de Paris en design graphique et des Beaux-Arts de Paris (atelier de Tatiana Trouvé). Son travail, entre Arte Povera, art minimal et conceptuel, trouve son essence dans l’interrogation critique des normes et standards qui régissent notre quotidien.
Dans une de ses premières installations, Formats de base, réalisée pour son exposition de diplôme aux Arts Décoratifs en 2018, il jette littéralement les bases de son œuvre à venir.
Partant des formats de papier standard A0, A1, A2, A3 et A4, établis par l’ingénieur allemand Walter Porstmann, officialisés en 1922 et très vite adoptés un peu partout dans le monde, Raphaël a coulé des dalles de béton aux mêmes dimensions pour former une sorte de mosaïque monochrome posée par terre. Il passe ainsi de la deuxième à la troisième dimension et, en même temps, du domaine de l’art appliqué du graphisme à celui de l’art plastique.
Si le papier a été le premier à faire l’objet d’harmonisation et de standardisation pour des raisons d’efficacité et de rationalisation, ce principe a été très vite appliqué à d’autres matériaux, notamment dans la construction. C’est un autre allemand, auquel l’artiste se réfère explicitement, l’architecte Ernst Neufert, passé par le Bauhaus, qui a échafaudé en 1936 un système de standardisation des éléments de construction, qui fait encore référence aujourd’hui. Il sert aussi bien pour la conception d’une cage à poules que d’un immeuble ou de mobilier de bureau. Mais tout système peut avoir des failles. C’est ce que l’artiste démontre dans plusieurs de ses pièces, comme dans Cloison de 2019, où il a essayé de faire rentrer de force des plaques de plâtre d’une hauteur standard de 2,50m dans un espace de 2,40m de haut, avec un résultat désastreux : le placoplâtre effiloché et des traces de frottements au plafond.
Souvent, Raphaël Maman associe des matériaux qui, normalement, ne vont pas ensemble, mais trouvent un point commun dans les dimensions standardisées, comme des boîtes aux lettres surmontées d’une tour de briques, ou un matelas couvert d’une couche de briques rouges, sur laquelle est posé un coussin en béton (Charge, 2021). Le titre ne fait pas seulement allusion au poids des briques mais aussi à celui d’un corps qui a creusé le matelas et ainsi créé un creux dans la couche de briques, comme une trace de fantôme. Une des rares pièces de l’artiste qui évoque une présence humaine, même par l’absence.
L’artiste emploie de préférence des matériaux « basiques » du bâtiment, béton, ciment, plâtre, fer, bâches, parfois aussi des outils d’artisans. Pour les éditions ARTAÏS 2024, il a proposé une série d’objets composés de crayons de charpentier, assemblés par des rivets, pour former un mètre pliant d’une longueur d’environ un mètre. L’outil, servant à tracer des lignes et délimiter un espace, devient ainsi lui-même instrument de mesure (approximatif). Ces pièces sont des déclinaisons d’une installation plus importante de 16,685 m (2022).
Tous ces crayons sont usagés, objets trouvés ou échangés, comme le sont les chaises et autres éléments de mobilier, un lampadaire, un porte-manteau et un caisson de rangement, qui forment son installation Le Banquet, présentée dans l’exposition S’en sortir sans sortir au Consulat-Voltaire en 2023. Raphaël les a enchâssés dans des plateaux en béton à la hauteur standard d’une table, les privant de leur fonction première pour en faire des supports. Aurait-on envie de s’installer à ces tables peu accueillantes ?
Nombre de ses installations sont en quelque sorte des scénographies pour un théâtre de l’absurde. Elles font par exemple penser à la pièce de Eugène Ionesco, Les Chaises, où un couple de vieillards accumule des chaises destinées à des invités qui n’arriveront jamais.
La référence au théâtre n’est pas fortuite. Raphaël s’est très tôt intéressé à l’architecte italien Nicola Sabbattini qui publia en 1638 un traité sur la scénographie et les machineries de théâtre. Alors que le théâtre classique à l’italienne vise à créer l’illusion en cachant les mécanismes qui permettent de la produire, l’artiste prend le contrepied en cassant les codes et en dévoilant l‘envers des coulisses. Pour son exposition de diplôme aux Beaux-Arts en 2020, il a fabriqué un Praticable, une structure servant à supporter les décors et les acteurs. Sauf que son châssis en acier est couvert de plaques de ciment mâché empreintées sur des cartons, extrêmement fragiles, qui ne supportent rien du tout. Le praticable est donc pratiquement impraticable.
Il a également disposé à différents endroits de l’espace des Servantes, ces lampes qui éclairent sommairement la scène quand les projecteurs sont éteints, des « veilleuses » de l’âme du théâtre. Mais ses servantes n’éclairent pas puisque les ampoules sont moulées dans de la graisse de roulements. Par contre, le gras se diffuse dans l’espace et l’imprègne ainsi de « son âme ».
Le travail de Raphaël Maman nous fait prendre conscience du « quadrillage » de notre vie quotidienne, des normes qui la régissent, souvent à notre insu. Il nous invite à casser les codes et à nous réapproprier notre espace de vie en inventant nos propres règles et à le remplir de poésie.
Art au Centre #14
Jusqu’au 31/04/2024
Vitrine personnelle au 9 Passage Lemonnier, Liège, Belgique
Exposition collective
Du 11/04 au 16/06/2024
Espace Le Carré, Lille
Duo Show avec Pier Sparta
Du 15 au 29/06/2024
Centre d’art Jean-Pierre Jouffroy, Bonneuil-sur-Marne