RACHEL ROSE - marionnettiste de sensations, éclairagiste de la réalité
 

Par Alexia Pierre14 avril 2020In Articles, Expositions, 2020

 

S’égarer dans la forêt de l’enfance, se perdre dans la contemplation de danses prisonnières d’un œil de verre. S’absoudre dans un spectre de lumière, s’absenter le temps d’un flottement gravitationnel, comme d’un saut temporel. Rachel Rose se joue de nos sens, au travers de montages aussi narratifs qu’abstraits, afin de questionner les anxiétés de l’humanité.

Exposée au Whitney Museum of American Art (New York) et à la Serpentine Gallery (Londres), l’artiste et vidéaste américaine était, jusqu’à présent, restée discrète sur la scène parisienne. Son travail est enfin révélé avec cette importante exposition à Lafayette Anticipations qui présente des œuvres jalonnant sa carrière, retraçant ainsi les divers domaines de recherches que l’artiste a l’habitude d’explorer : des sciences optiques, cryogéniques ou spatiales, à la fin du féodalisme anglais au 17ème siècle. Outre l’hyper-sensorialité de ses installations vidéo immersives et la vitalité de ses collages filmiques –patchworks éclipsant tout repère spatio-temporel –, l’artiste se distingue également par une démarche d’analyse poussée des phénomènes humains, dans toute leur multiplicité.

Après une formation initiale en peinture abstraite à la Yale University (Connecticut), cette nouvelle orientation artistique s’opère durant son M.F.A à la Columbia University (New York). L’artiste, s’interrogeant alors sur une potentielle bifurcation vers une forme d’activisme politique, y réalise un film auscultant nos rapports à la vie, à la mort, à l’évolution – aussi bien naturels qu’artificiels. Les images se juxtaposent, se déforment ; elles naviguent entre zoos américains, laboratoires de développements robotiques et centres de cryogénie futuriste. L’ours polaire s’endort, l’oiseau s’envole, les myrtilles s’écrasent. Rachel Rose livre ainsi sa démarche de réflexion personnelle sur ces problématiques universelles : un montage au rythme saccadé, une voix off narrative aux accents de berceuse. Originellement destinée à la forme documentaire, la vidéo Sitting Feeding Sleeping (2013) niche aujourd’hui dans un recoin de l’espace de Lafayette Anticipations.

Cette expérimentation cinématographique, Rachel Rose la poursuit avec Everything and More (2015), odyssée de l’apesanteur où la vidéaste interviewe l’astronaute américain David Wolf. Comment les sens sont-ils accrus par cette sensation de flottaison ? Les envoûtantes notes de « Amazing Grace » accompagnent des abstractions hypnotiques et colorées – illusions générées par une caméra jouant de plans rapprochés sur une série d’ingrédients culinaires. Le registre du Sublime est ambiant. Le temps s’étire, puis se compresse. Pour elle, cette œuvre invite au déboussolement, à une forme de « déplacement ». Un canevas pour tout écran filtre à peine les rayons du soleil couchant, ses ombres, embrasant la verrière du dernier étage de la fondation. Apothéose. Symbiose parfaite du ciel. Rose se rend maîtresse des lumières artificielles et naturelles.

Nouvelle interprétation, le collage dans l’animation. Avec Lake Valley (2016), Rose construit – à partir de motifs extraits de milliers d’illustrations de livres pour enfants – un monde à l’échelle oscillante, fruit de l’imagination d’un petit animal domestique fantaisiste. Allégorie de l’enfance, le songe va à la solitude, la rêverie à la vie en pavillon résidentiel. Une dimension davantage narrative, semblable à la fable, émane de cette œuvre. Plus loin le conte Wil-o-Wisp (2018) dresse un tableau d’une Angleterre féodale en pleine transition vers le capitalisme, régie par un contexte où magie et sciences de l’occulte côtoient la privatisation des terres et l’enclosure. De ce moment historique, de quel système notre société aura-t-elle hérité ? Enclosure, second film de cette série, présenté à Luma Arles en 2019, poursuit cette réflexion. Des talismans de résine gardent l’écran, transformés en prismes de vision, de perception. Nous en retrouvons un, à quelques mètres, dans un boudoir calfeutré de rideaux, renfermant en son centre un Fred Astaire dédoublé exécutant deux danses discordantes. Autoscopic Egg (2017), clin d’œil neurologique, diffracte l’image, la disperse dans cette discothèque miniature, la fait exister en présence du regardeur. Deux mondes sont liés.

 


Infos :

RACHEL ROSE

Lafayette Anticipations

9, rue du Plâtre F-75004 Paris

L’exposition est prolongée jusqu’au 13 septembre 2020.