Quand les peintures deviennent formes mouvantes

Mathilde Denize (née en 1986), dont je découvre le travail lors de sa participation à l’exposition collective « Les fragments de l’amour » au Centre d’art La Traverse à Alfortville en 2015, investit cette année le très bel espace au dernier étage du Musée des Beaux-arts de Dôle.

En préambule de notre visite, Amélie Lavin, la directrice du musée, m’indique avoir invité l’artiste suite à l’exposition collective de 2017, « Peindre, dit-elle » chapitre 2, à laquelle elle participait parmi une quarantaine de plasticiennes, toutes conviées à présenter des œuvres envisageant la peinture dans sa pluralité.

Mathilde fait ses études à l’école des Beaux-arts de Paris dans l’atelier du peintre Djamel Tatah, où elle se confronte à ce medium historique un temps rejeté puis à nouveau adoubé, oscillant entre abstraction et figuration. A la fin de ses études, elle commence à collecter des objets et les met en scène avec d’autres pièces fabriquées, complètes ou fragmentées, sous forme d’assemblages construits de façon intuitive. Ces ensembles, dans la ligne des « Merzbau » de Kurt Schwitters et un héritage évident du surréalisme, sont présentés sur des socles et constituent de petits autels évoquant de mystérieux rituels. On pense aussi à Rodin qui n’hésitait pas à assembler des pièces de sa collection personnelle avec ses propres créations pour proposer une œuvre hybride étonnante.

Dans cet espace à la charpente imposante, Mathilde Denize utilise un langage plastique très personnel qui laisse transparaître ses souvenirs d’enfance, lorsqu’elle fréquentait les décors de cinéma réalisés par ses parents. Autant d’histoires à construire, d’évocations de mondes imaginaires dans un rapport au théâtre évident. Aux objets récoltés s’ajoutent des objets fabriqués – céramiques colorées, moulages divers dont ceux de bouches en béton – dans un croisement de formes aux origines multiples. Un totem est érigé au centre de la salle, support de reliques et « de petits riens » évocateurs de beaucoup pour qui sait déchiffrer. Le spectateur est invité à en faire le tour, dans le sens des aiguilles d’une montre ou à l’inverse, religieusement ou non. Mais les objets ne meurent pas et ne restent jamais figés dans le même état avec Mathilde, ils se transforment. Telles ces anciennes peintures un temps abandonnées puis retrouvées au fond de l’atelier, qui reprennent vie. L’artiste les découpe et réalise des costumes, les transformant en chemises, pantalons, maillots de bain. La peinture devient une sculpture qui devient corps mouvant et se déplace lors de performances chorégraphiées. Ces allers et retours entre peinture, sculpture et performance ne sont pas sans évoquer les avant-gardes féminines du début du 20ème siècle. Dès 1892, Loïe Fuller mêlait peinture, danse et dessin dans sa « danse serpentine ». Mary Wigman illustrait elle aussi les échanges entre ces pratiques. On peut aussi citer le « ballet triadique » d’Oskar Schlemmer, qui alliait une rigueur géométrique à la vivacité des formes et à la mobilité, introduisant l’art de la performance au sein d’un Bauhaus à l’initiative du décloisonnement des arts.

Comme l’évoque la critique d’art Lucy R. Lippard, il s’agit de « sortir du syndrome du cadre et du socle ». Et Mathilde Denize tente, une nouvelle fois, de repousser les limites de la peinture en y associant corps, sculpture et environnement.

Non sans humour, l’artiste intitule son exposition « Haute Peinture », clin d’œil à la couture, qui permettra de donner une nouvelle forme et un volume à ses toiles. Le corps disparaît mais reste sous forme de traces, de contours dans une mise en scène de présence-absence.

La peinture sort de ses gonds et se désacralise, tout en tenant compte de l’ensemble des questionnements sur l’art, avec ces corps fragmentés suspendus tels des fantômes hantant le lieu et s’en échappant parfois.

Lors de la performance, les costumes-peintures s’animent et les toiles s’associent sous une autre forme, créant de nouvelles compositions et proposant au spectateur une succession de tableaux vivants dans une chorégraphie parfaitement orchestrée.

Vous l’aurez compris, Mathilde Denize n’est pas seulement peintre, sculpteur ou performeur mais une artiste à suivre de près.

 

Par Sylvie Fontaine


Infos :

« Haute Peinture », Mathilde Denize

Musée des Beaux-Arts
85, rue des Arènes, Dole 

Jusqu’au 24 juin

Performance « Haute Peinture »

Fondation Ricard

6 Juin 2019 à 19h

« Invitation »

Centre d’art contemporain de Lacoux

Jusqu’au 25 aout 2019

« Le Grand Détournement », exposition collective

Galerie Ceysson Benetière, Paris

Du 27 Juin au 3 Aout 2019