PRO LITURGIA, ORDINATRICES DU TEMPS PRÉSENT
Quel rapport l’art entretient-il avec la technologie dans la part du sensible ? Peut-on penser le sacré dès lors qu’il y a présence de la technologie ? Sur quoi repose la croyance dans la technologie ? N’a-t-elle pas elle aussi créé ses propres rituels ?
Ces questions, Julien Taib, le commissaire de l’exposition les connaît bien puisqu’il travaille depuis quinze ans à la diffusion des cultures numériques. Mais à l’Abbaye de Maubuisson, elles entrent en résonance avec les espaces du lieu pour lesquels les sept installations ont été créées, et avec la vie passée des abbesses. D’une salle à une autre, les oeuvres donnent à voir et à ressentir la relation ambiguë que la modernité, par la technologie, a établie entre l’homme et la machine, la nature et l’artifice, l’intelligence et l’imagination. Ambiguë, car cette technologie peut tout autant œuvrer à une véritable esthétique ou au contraire la dénuer de toute substance sensible. Comme lorsqu’elle se substitue à un geste simple, familier et source de plaisir, en le robotisant par exemple (Laura Haie). Elle peut aussi souligner sa propre obsolescence, démontrée avec humour par Cécile Babiole dans Copy that, (réalisée avec Jean-Marie Boyer), sorte de tchat/minitel sur le modèle du RDS (radio data system) vieux de quarante ans. A l’heure où les mails et les images s’envoient et se reçoivent en quelques secondes, la lenteur du process amuse et prête à rire. De la même artiste, l’installation Bzzz rend hommage au son brut et non traité de l’électricité et de la fréquence analogique. Trompeuse aussi la technologie, quand elle va à l’inverse de son ambition, c’est ce que met en lumière le Collectif IAKERI. Ainsi présentées, présences fantômes en suspension, les données des inégalités sociales entre les femmes et les hommes risquent bien de rester à l’état de chiffres sur lesquels on spécule. En revanche, dans la salle des religieuses, bien que le passage du soleil soit artificiel, Silence de Marie-Julie Bourgeois impose son temps de profonde méditation. Le dispositif de Félicie d’Estienne d’Orves dans l’antichambre touche au versant le plus « religieux » de l’exposition. Une bougie, une lentille grossissante, une diapositive d’une vue de la voûte céleste prise à partir du satellite Hubble, où se croisent des milliers de galaxies et contenant plus de treize milliards d’années lumière… Entre l’intimité de la flamme et les espaces incommensurables, le spectateur éprouve le vertige de l’infiniment petit et de l’infiniment grand, du prodige de l’univers, de sa propre finitude. A la fin du parcours, l’installation végétale de Cécile Beau, en partie composée de plantes très anciennes, qui n’ont pas évolué depuis l’ère géologique, rappelle que la nature est aussi une mémoire à préserver. La survivance de cette mini-biosphère est rendue possible grâce à des lampes à UV et un arrosage manuel régulier. En retraversant les salles dans l’autre sens, on mesure l’importance de ce « prendre soin », lorsqu’il est connexion, virtuelle ou spirituelle, de la relation de l’homme à la nature, au vivant, au présent du monde.
INFOS :
Pro Liturgia, ordinatrices du temps présent
Abbaye de Maubuisson, site d’art contemporain du Val d’Oise
Avenue Richard de Tour, Saint-Ouen l’Aumône 95
jusqu’au 29 mars 2020