Prix Fondation Pernod Ricard 2023
Depuis 1999, le Prix Fondation Pernod Ricard est décerné chaque année à un artiste de la jeune scène française et son exposition est placée entre les mains d’un.e commissaire ou artiste portant sur l’actualité de l’art en France un intérêt et un regard particuliers.
Auteure et commissaire, Fernanda Brenner s’est vue confier l’exposition de cette édition. Elle est la fondatrice de Pivô à São Paulo, dont l’objectif est de promouvoir un espace dynamique et pluridisciplinaire d’expositions et de recherches. Dans cet entretien, elle nous présente son cheminement, son travail avec les artistes Anne Bourse, Ana Vaz, Sophie Bonnet-Pourpet, Eden Tinto Collins, Ethan Assouline et Pol Taburet, leurs réflexions et objectifs.
Abigaïl Hostein : Le titre de l’exposition, Do you believe in ghosts ? est extrait d’un film de 1983, Ghost dance, de Ken McMullen. Comment le film trouve-t-il une résonance dans l’exposition ?
Fernanda Brenner : J’ai toujours adoré ce film avec Pascale Ogier, et le premier événement que nous avons partagé avec les artistes, à l’occasion du compagnonnage, a été de regarder le film ensemble. Ma toute première idée est venue de l’interview de Jacques Derrida sur le cinéma et les fantômes. Mon parcours ayant été marqué par le cinéma, il y a toujours un contenu cinématographique dans mes expositions. Je travaille beaucoup avec des artistes à la frontière entre le cinéma et les arts visuels.
C’est lors de ma première conversation avec les artistes qu’est née l’idée que l’exposition serait une histoire de fantômes écrite collectivement. L’exposition, s’apparentant plus à une atmosphère qu’à une approche thématique, est une invitation à pénétrer dans une ambiance.
AH : Six artistes cohabitent dans le même espace, avec leur « histoire de fantôme écrite collectivement ». Comment le dialogue avec les artistes, à travers les rencontres et le compagnonnage, a-t-il abouti à cette proposition ?
FB : Quand je travaille sur des expositions collectives, je préfère toujours travailler à partir d’œuvres inexistantes, ce qui est très risqué pour moi, comme pour les artistes. Aucun des artistes ne connaît les œuvres des autres avant l’installation, et ne peut se faire une idée des proportions et de l’échelle dans l’espace. Dans notre cas, chaque œuvre est un monde en soi, avec une forte présence, tels des mini-essais. Quand je dis que l’exposition est une histoire de fantôme écrite collectivement, c’est du fait de la combinaison de ces mini-essais. Il y a beaucoup de contaminations volontaires entre les œuvres et de nombreuses ramifications.
AH : Dans quelle mesure la diversité de ces artistes vient-elle nourrir une même problématique ?
FB : Au début du compagnonnage, nous avons remis à chaque artiste un petit carnet. Nous avons également réalisé une bibliographie ensemble, suite à nos échanges. Dans le catalogue, vous pouvez voir le processus. J’ai choisi un nombre minimum d’artistes. J’avais vraiment envie de travailler avec chacun d’eux, individuellement. Ils sont tous connectés mais ont conservé leur autonomie. Chacun d’eux couvre un aspect de l’idée de fantôme, le fantôme comme métaphore, le fantôme comme phénomène social… Au final, ce sont leurs différences qui m’ont inspirée. Certains s’étonnent de voir ces artistes réunis, mais pourquoi pas !
AH : L’exposition évoque ainsi les notions de fantôme, de résurgence, d’incarnation, d’instabilité. Qu’en est-il de l’idée d’un fantôme auquel on souhaite donner une forme, d’un fantôme que l’on veut garder près de soi ?
FB : Je pense que l’aspect ancestral est important. Vous pouvez voir des fantômes, et cela n’a pas besoin d’être ésotérique. Le fantôme est différent pour chacun, mais chacun a ses propres fantômes. Cela dépend de votre histoire. Il est important de souligner à quel point les choses sont contextuelles. Parfois, c’est quelque chose qui appartient au passé, mais qui est toujours là.
AH : Vous parlez de l’importance accordée à la rencontre et à l’influence mutuelle entre chaque acteur de cette exposition (spectateur, artiste, commissaire), créée à partir de relations et de dialogues, plutôt que de directives strictes. Comment décririez-vous votre façon de travailler ?
FB : Je pense que j’aime travailler avec des personnes plutôt qu’avec des objets. Certains commissaires souhaitent présenter des œuvres préexistantes à l’exposition. Je préfère travailler avec l’artiste, être présente pendant le processus de création. Chaque fois que je conçois des expositions collectives, j’essaie de réaliser des expositions personnelles à l’intérieur de l’exposition de groupe. Chaque exposition se veut être une opportunité d’élargir le champ des possibles : des idées naissent et des œuvres qui n’existaient pas vont vivre. J’essaie de rassembler des gens intellectuellement stimulants avec lesquels je me sens prête à partager des idées.
AH : Dernière question Fernanda, Do you believe in ghosts ?
FB : Oui bien sûr, à tous types de fantômes, et je suis très étonnée par les gens qui n’y croient pas !
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Prix décerné à Eden Tinto Collins
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Propos recueillis et traduits de l’anglais par Abigaïl Hostein.