Possédé.e.s

Déviance-Performance-Résistance

 

Abordé d’une façon toute particulière à La Panacée de Montpellier, l’occulte se révèle réinvesti dans l’art contemporain grâce à l’imagination de 27 artistes français et internationaux qui donnent la voix aux identités et corps marginalisés.

Le domaine du mysticisme, de la magie, de l’ésotérisme et du monstrueux devient le terreau fertile d’une résistance aux normes dominantes et persistantes de notre société, de plus en plus décriées dans les pratiques artistiques contemporaines. C’est d’ailleurs depuis le milieu du XIXème siècle que la sorcière est devenue grâce aux écrits de Jules Michelet une figure de la rébellion contre l’oppression du pouvoir féodal et de l’Eglise catholique. D’une réflexion qui a émergé à partir du corps comme moyen de protestation politique, l’exposition Possédé.e.s Déviance-Performance-Résistance cristallise les nouvelles formes des résurgences de figures surnaturelles et de rituels païens.

Cette exposition se trouve au croisement entre les revendications les plus récentes de la société, avec les mouvements comme #Me too et Black Lives Matter, et la réappropriation de l’ésotérisme comme affirmation de sa différence, de son identité et une manière de se représenter. Elle s’inscrit pleinement dans les réflexions du commissaire d’exposition Vincent Honoré. Ce dernier avait en effet déjà travaillé sur les corps résilients dotés d’une certaine extravagance avec l’exposition Drag : Self-portraits and Body Politics en 2018, traitant des autoportraits de drag-queens, et sur l’exploration multiple des genres avec l’exposition Kiss my genders en 2019, toutes deux présentées à Londres.

Par la mise en place d’une scénographie où lumière et son rappellent l’ambiance du cinéma d’horreur, le visiteur est envisagé comme un acteur de l’exposition qui expérimente sensitivement les œuvres. Théâtralisé et immersif, le parcours nous invite d’abord à déambuler dans des espaces aux allures d’intérieurs intimes et domestiques. A l’entrée, les arches de l’ancien cloître, presque complètement emmurées, dissimulent les premières œuvres à une vision immédiate et projettent des faisceaux de lumière au sol. Le rituel peut commencer et le parcours traversera zones de couleurs alternant avec des espaces d’ombres.

Un chœur de voix désincarnées hante l’espace et se laisse entendre peu à peu. Il s’agit de l’installation sonore frissonnante Requiem pour 114 radios du duo d’artistes Iain Forsyth & Jane Pollard, composition qui nous accompagne tout au long de l’exposition. Dans un couloir, de vieilles radios grésillantes occupent deux murs et jouent, tantôt en harmonie tantôt en dissonance, l’hymne funéraire médiéval du Dies Irae, qui n’est pas sans rappeler la bande sonore du film Shining de Stanley Kubrick.

Possédé.e.s Déviance-Performance-Résistance rassemble peintures, sculptures, dessins, installations, vidéos de danse et de performance, pour créer des récits alternatifs. Certains artistes empruntent d’une manière nouvelle des références à l’histoire de l’art chrétien et mythologique tout en mélangeant les cultures, les époques et les techniques comme Raphaël Barontini et Sédrick Chisom qui par ce biais affirment les identités créoles et noires, effacées de l’histoire, et tentent de détruire les anciens mythes. Apolonia Sokol, quant à elle, réactualise la peinture d’histoire, allégorique ou symbolique, et présente dans la dernière grande salle une version trans en grand format du tableau de la Renaissance Le Printemps de Sandro Botticelli, glorifiant la féminité contemporaine en y intégrant les luttes queer et féministes du XXIe siècle. L’artiste crée ainsi une représentation forte et conquérante d’individus marginalisés. C’est ce que Pauline Curnier Jardin réalise également avec son court métrage Qu’un sang impur (2019) mettant sur le devant de la scène des femmes ménopausées explorant leur désir et sensualité renouvelés pour les visiteurs osant passer derrière un rideau noir dissimulant la salle de projection vidéo.

Les domaines de la sorcellerie, de la spiritualité, des rituels chamaniques ou thérapeutiques sont largement prédominants dans la deuxième salle qui accueille la table d’échange d’âmes de Nicolas Aguirre, outil pour ses performances, et la série de photographies Sculptures de Chair (1999-2000) de Myriam Mihindou. Cette artiste franco-gabonaise use de rituels empruntés à ses origines pour soigner le traumatisme et manifester son corps racisé et sexualisé. La poudre de kaolin brun ou blanc apposée sur ses mains et les aiguilles traversant sa peau ont une vocation positive : trouver la parole. Par ailleurs, ce sont des réflexions sur le processus de vieillissement du corps et de la transformation qui habitent les œuvres-rituels de Kelly Akashi et de Laura Gozlan. Pour la première, des mains sculpturales en bronze sont disséminées dans l’exposition comme des autels supports de bougies consumées. Pour la seconde, une installation-vidéo sur trois écrans, Y.E.S. I, MUM please, met en scène des moments différents d’une cure d’immortalité imaginée par l’artiste, accompagnée d’objets de sa fabrication interprétant le stéréotype de la femme au foyer. Tous ces artistes participent à la légitimation d’une contre-culture et au renversement du « monstrueux ».

Les traditions, l’artisanat et les savoir-faire sont détournés dans le champ contemporain avec Nils Alix-Tabeling qui crée un mobilier aux formes anthropomorphiques liées aux contes, à la sorcellerie et mêlant les systèmes de divination. Anna Hulačová combine matériaux naturels et industriels pour réaliser de nouvelles figures ambigües, pas totalement humaines ou animales, sans idéologie religieuse ou politique reconnaissable, des messagères connectant différentes époques, cultures et imaginaires. Jean-Baptiste Janisset expose une imposante installation, ressemblant à un monument religieux qui questionne les reliques des religions et croyances qu’il a empruntées au cours de ses voyages. Placée au centre de l’espace, les plaques de plomb et d’argenterie fondue brillent dans un halo lumineux mystique émanant de l’antre de cette étrange architecture. Un charme envoûtant s’empare du visiteur.

Ainsi, dans la lignée de certaines expositions de la Tate Modern et du Centre Pompidou de ces dernières années, il y a ici la volonté de montrer « des histoires de l’art ». L’exposition explore différents points de vue, de nombreuses voix. Elle ne se situe pas dans une histoire linéaire ou ne nous raconte pas l’histoire d’un courant artistique générationnel. Au contraire, elle rend compte de multiples pratiques artistiques qui tentent de se défaire de la vision dominante patriarcale, occidentale et binaire des genres. Pour cela il était important de présenter également les photomontages érotiques et surréalistes de Pierre Molinier, artiste français dont les créations remontent aux années 1960 et 1970, comme pour montrer la continuité de ces mouvements de résistance par le corps mais également leur ancienneté et perpétuation sous d’autres formes.

 


Infos

MO.CO. Panacée

14 Rue de l’École de Pharmacie, Montpellier

Jusqu’au 14 février 2021