Portrait : Florian Mermin
« A qui est demeuré longtemps confiné dans la ville […] »1
Malgré des avertissements récurrents, le régime furibond des images continue de flatter notre perception égocentrée du monde. Commerciales, aguicheuses, souvent vulgaires, toujours rapides et percutantes, les icônes de l’actualité défilent. Ne nous laissant sur leur passage qu’une sensation d’éphémère et d’insaisissable, elles se prennent parfois dans les mailles des filets de qui sauront les détricoter. Et Florian Mermin est un protagoniste de ces nouvelles déconstructions.
Après un passage par les Beaux-Arts de Paris et l’Otis College of Arts & Design de Los Angeles, Florian Mermin (né en 1991 et vivant à Paris) poursuit un travail de décalage sémiologique formel. De la littéralité d’objets connus, l’artiste sculpteur-installateur-dessinateur fabrique de nouvelles polysémies en intervenant sur les relations signifiant/signifié des objets qu’il produit.
Les lexiques convoqués semblent toujours familiers avant d’être bouleversés. Qu’ils soient issus de l’ornementation traditionnelle, de la décoration kitsch, ou du végétal, ils nous apparaissent dans un premier moment de clairvoyance avant de regagner les nouveaux horizons auxquels ils semblent avoir toujours appartenus, sans que nous ne l’ayons pourtant su…Des petits monochromes verts sur châssis s’avèrent être des extraits sensoriels de forêts, recouverts de véritables branches de sapin (Minimal odorant, 2016). Ailleurs un bac à linge en céramique dont la brillance attire, se découvre avec sa part de monstruosité, griffu, noir et dévorant (Il faut bien qu’une araignée trouve une façon de vivre, 2017). L’objet devient créature et le fonctionnalisme laisse place à une nouvelle esthétique, presque maniériste dans les libertés charmeuses qu’elle prend sur le principe de réalité.
Ces renversements parfois voisins de la littérature fantastique ou autrement proches du cinéma d’horreur remettent aussi en jeu la dualité de la forme et de son sens dans une perspective plus intimiste. Le travail de Florian Mermin agit aussi comme un ensemble de réinterprétations émotives de nos objets quotidiens et prosaïques, ceux dont les souvenirs sont faits. Le tapis d’émotions posé à l’entrée de notre mémoire personnelle fonctionne comme autant de lentilles de travestissement des formes qui l’habitent. Se mêle donc une douceur mélancolique au surréalisme apparent, et les roses en berne fixées sur des chaussures solitaires sur fond de papier journal (Meermin’s Shop, 2017) nous ramènent vers des paysages familiers et jardiniers de l’enfance.
Du 09 mars au 11 avril, Florian Mermin présente à la Galerie Backslash (Paris) l’exposition Caresse de forêt (le soir où tu m’as quitté). Immersive, celle-ci nous transporte dans une narration en décalage, où l’on rencontre escarpins en céramiques, terreau, et tapisserie végétale constituée de vêtements déchirés, laines et branchages. Tout au long de l’exposition, la rencontre de la matière et de la forme se déroule selon un dialogue agonistique avec un corps présent-absent, invité et rejeté :
Disparu et repoussé, comme face à ce banc de ronces forgé (Les rayons et les ombres, 2017) dessinant l’impossibilité du repos ; ou encore en regard de cette cartographie stellaire romancée où les étoiles sont pétales de roses fanées et le ciel, un sac poubelle déplié (Le soir où tu m’as quitté, 2019), le corps se refuse. Présent et bienvenu, se manifestant par ses propres traces avec des poils de barbes et ongles qui parsèment le paysage de la galerie, le corps appelle. Des cheveux sont emmêlés dans un fagot de bois (Douces, 2015) comme l’évocation d’une entité corps, autant le nôtre que celui de l’être aimé, qui ne nous appartient plus et qui est à reconquérir…
Dans son travail, et dans son exposition à la Galerie Backslash, Florian Mermin cerne, par-delà les images futiles, une poésie révélatoire du quotidien. Le déplacement opéré par le travail de sculpture, d’assemblage et l’utilisation de matériaux naturels (restes humains, végétaux, animaux…), sur des formes communes permet une parenthèse écosophique en dehors d’un chaos d’hyperproduction iconographique, qui a tant de mal à se réguler.
Là où il y avait aigreur, il peut y avoir douceur ; là où il y avait utilité, il peut y avoir poésie; et là où il y avait nature, il peut y avoir culture, et inversement…
[1] Seul dans la splendeur, John Keats, Ecrits dans les champs, 1816
Par Guillaume Clerc
Infos :
Le travail de Florian Mermin est actuellement visible:
Caresse de forêt (le soir où tu m’as quitté), exposition personnelle à la galerie Backslash (29 Rue Notre Dame de Nazareth, 75003 Paris) jusqu’au 11 avril 2019.
100% l’expo, Sorties d’écoles : exposition collective à la Grande Halle de la Villette du 20 au 31 mars 2019.