Autour de l’exposition Spolia au Grand Café de Saint Nazaire

jusqu’au 6 janvier 2019

Le sixième acte de la tragédie

Mountaincutters, duo d’artistes sculpteurs et poètes, présente l’exposition protéiforme Spolia, dont le projet curatorial a été pensé par Guillaume Désanges.

Originaires du sud de la France et fréquentant aujourd’hui les faubourgs de Bruxelles, le duo développe une pratique in-situ de la sculpture et de l’installation. Chaque lieu d’intervention devient un moment particulier où se déploient des formes, des objets, des textes, et des images. En écho de ces installations résonne toujours un corps, celui absent et invité à venir parcourir ces espaces de décélération. Assises, mobiliers, portants, sont autant de vocabulaires formels récupérés et présentés dans une esthétique décroissante, dystopique, voire parfois apocalyptique.

Le remploi, ou spolia dans la tradition de la Rome impériale tardive, est  au centre de cette exposition et du travail des mountaincutters. Comme dans le vestibule du Grand Café où un tuyau gigantesque aspire notre regard et le redirige vers un texte de l’autre côté de la pièce. Cet énorme volume vide a été glané par les artistes dans le voisinage post-industriel de Saint Nazaire où bunkers militaires et chantiers maritimes sont les témoins monumentaux d’une époque quasi révolue.

Au rez-de-chaussée du centre d’art comme à l’étage, plusieurs éléments composent des espaces figés en pleine désagrégation. Par endroit le sol semble avoir subi les dégâts du feu, ailleurs son recouvrement par le sable a commencé et les radiateurs du lieu vivent leurs dernières heures à l’air libre. L’endroit est rythmé par des structures métalliques, autant socles qu’entités autonomes, sur lesquelles reposent différents artefacts que l’on a du mal à discerner. Sont-ce des matériaux industriels recyclés ou des créations originales ? Des sphères impures en verre soufflé comme des fossiles de chantier, une tôle tordue aux reflets cuivrés trônant dans un coin, ou encore des esquisses de mobiliers forment le propos de cette exposition : une archéologie nouvelle de la frénésie productiviste contemporaine. En haut, reposent dans des bacs plusieurs empreintes d’une même forme répétée comme des objets ethnographiques d’un autre temps. Tous ces éléments nous laissent dans une incertitude esthétique comme l’écrivent les artistes. Ils nous amènent à réenvisager l’immanence poétique d’une telle pratique de l’installation où sculptures et rebuts ne se démarquent que rarement.

A certains endroits pourtant une éclaircie vient renverser ce champ chaotique en lieu de réinvention. Le paradigme de ce bouleversement se trouve dans certaines pièces en verre, à la pureté ici paradoxale. Des formes de soutien comme des roues en verre pour les socles, ou une béquille de verre aussi pour un support de projection,  deviennent des respirations nécessaires face à ce monde en ruine.

Spolia est la première étape d’un cycle de travail autour des généalogies fictives pour le curateur Guillaume Désanges. L’exposition convoque donc d’autres pratiques par le biais de reproductions, écrits et vidéos comme de nouvelles entrées dans l’archéologie des formes développées par le duo.

Des peintures en petits formats d’Etel Adnan ouvrent des moments de contemplation au sein de l’exposition, presque seules sources de couleurs vives au milieu de cet univers de rouille et de fer. Ailleurs la poésie engluée de Christophe Tarkos, cette « patmot » (que le poète définissait comme une pâte de mots inextricables les uns des autres) verbalise l’immersion que propose mountaincutters dans un monde en perpétuelle construction-déconstruction. On trouvera aussi des références à Moondog, pilier de la musique électronique expérimentale, au sculpteur Richard Serra, ou encore au cinéaste Pier Paolo Pasolini…

Le travail des mountaincutters semble animé par une recherche perpétuelle autour des contre-formes de cette hyper productivité ambiante, car les restes et rebuts sont des signifiants tout aussi importants de notre monde. Ils sont l’envers des formes qui nous entourent, et peut être alors le revers d’un langage ou la possibilité d’une autre poésie, nouvelle. La tragédie se déroule traditionnellement en cinq actes, mais après, que se passe t-il ? Une fois que le sort est noué, que les personnages ont disparu et que le champ de bataille s’est vidé, restent les éléments de la spolia : le butin d’un monde vaincu. Et peut-être alors le point de départ de la reconstruction.

 

Par Guillaume Clerc