Pierre et Gilles, La Fabrique des idoles 

 

Pierre est photographe et Gilles peintre. Ils forment un duo depuis 1976 et sont populaires bien au-delà du monde de l’art contemporain. A la Philharmonie de Paris, ils présentaient pour la première fois une exposition sur le thème de la musique. La Fabrique des idoles réunissait 110 photographies peintes, 25 pochettes de disques et 200 objets provenant de l’atelier du duo. À cela, Pierre et Gilles avaient ajouté une sélection de 140 chansons disponibles sur l’audioguide, proposant ainsi une immersion dans l’exposition et dans leur univers.

Lorsqu’on les écoute parler de leur travail, il est évident qu’une exposition sur le thème de la musique s’imposait. Pour eux, la variété permet de parler d’amour, de faire rêver. C’est bien ce qu’il se passe face à ces photographies, souvent à taille humaine, à mi-chemin entre deux mondes, celui de l’enfance, et celui de l’âge adulte, indissociables d’une heureuse nostalgie.

Les modèles, Pierre et Gilles les choisissent au gré de leurs rencontres. Gilles dit que chaque photographie est un hommage à la personnalité qu’ils ont devant eux, pour laquelle il élabore avec Pierre tout un décor permettant aux artistes d’entrer dans le monde de leur modèle, et inversement. Aucun Photoshop, mais des objets qu’ils achètent, des accessoires kitsch, des bouées gonflables, des peluches, des tissus… Comme au théâtre, Pierre et Gilles travaillent leur décor sur plusieurs plans. Ainsi chaque photographie devient un microcosme à part entière, avec son sujet, son univers, et une aura qui lui est propre.

Si l’immortalisation par la photographie rend déjà compte de l’aura de l’œuvre en pleine conception, c’est grâce au traitement pictural onctueux de Gilles, que l’œuvre est achevée. La toile acquiert alors les propriétés du velours. Cela vient renforcer la double réception que l’on peut en avoir, plutôt ludique, ou plutôt sensuelle. Ces objets-tableaux de dévotion, aux couleurs sucrées, fluorescentes, sont une bouffée d’air enivrante.

Le cadre, créé par le duo, forme un tout avec la toile. Il est l’introduction et la finition de l’œuvre, il prolonge l’image autant qu’il l’amorce, comme dans Le petit Roumain (Diego, 1999) avec son arrière-plan et son cadre tous deux enneigés.

Les cadres possèdent une magie ludique et font le lien entre les générations : ces cadres multicolores, aux couleurs de l’enfance, permettent aux artistes de dire aux plus jeunes, qui découvrent les œuvres, et parfois même les stars qui y figurent : « à votre âge, voilà ce que notre génération écoutait, voilà nos idoles. »

Le parcours de l’exposition est clair, et la scénographie soignée. Le revêtement textile des murs change de couleur selon chaque thématique, et l’ambiance de l’ensemble évoque l’idée que le spectateur peut se faire du Paris underground des « années Palace ». Une ambiance très sombre, avec des projections de lumière sur les œuvres, et des boules à facettes pour accueillir le visiteur dès son entrée.

Les thématiques recouvrent l’ensemble de leur carrière, en commençant par les pochettes de disques. Arrivent « Les années Palace », du nom d’une discothèque rue du Faubourg Montmartre, que côtoyaient des personnalités tel que Serges Gainsbourg ou Mick Jagger, de 1978 à 1983. Ceci afin d’évoquer une époque d’insouciance des soirées parisiennes. Les portraits ont des formats de pochettes de disques, et les visages ressortent sur des fonds monochromes, comme Iggy pop (1977) ou Amanda Lear (1980).

Viennent ensuite les œuvres réalisées entre la fin des années 1970 et début 1980, offrant un panorama d’une scène musicale éclectique avec les portraits de Mikado (1985), ou encore d’Indochine (1986).

Le spectateur découvre ensuite « L’autel de la musique », mettant ici l’accent sur l’importance de l’objet sous toutes ses formes, comme souvenir ou comme rituel. Jouets, posters, coussins à l’effigie de personnalités, petits anges accrochés au mur… L’ensemble crée une pièce sanctuaire, où l’on retrouve le goût des artistes pour la sacralisation des objets et les éléments pris du réel. La chambre de Sylvie, une pièce créée spécialement pour l’exposition, illustre cette démarche. Pierre et Gilles y ont imaginé la chambre d’un fan de Sylvie Vartan. Ambiance rose et bleue tamisée, posters aux murs, lit couvert de magazines, objets à l’effigie de la star et autres goodies, les artistes dévoilent une fois de plus cette idolâtrie qui traverse les époques.

La partie de l’exposition « Les icônes » montre l’influence évidente de l’iconographie chrétienne. Un aspect rassurant se dégage des personnalités qu’ils immortalisent et sacralisent à leur tour, comme Kylie Minogue en Vierge aux serpents (2008), ou Clara Luciani en Madone aux fleurs (2019). En effet, le décor, la lumière, la prise de vue de Pierre, et le travail pictural de Gilles inscrivent l’œuvre dans une vision contemporaine de l’icône transposée dans l’idole populaire, une vision indissociable de l’influence des siècles de dévotion religieuse ou mythologique.

Cela inspira « Mythologies », une thématique reflétant l’étendue des mythes et croyances dans lesquels Pierre et Gilles trouvent l’inspiration, en partie grâce à leurs voyages, au Maroc ou en Inde. Ils photographient notamment Madonna en 1995 sous les traits d’Ushiwaka, issu de la mythologie japonaise. « Il n’y a pas de barrières entre les gens et les styles pour nous » déclare Pierre.

Enfin, une ultime pièce, « Rêve et cauchemar » où les artistes opposent l’idée de paradis et de l’amour à celle de l’enfer. On y découvre notamment Le grand amour (2004), photographie de mariage de Dita von Teese et Marilyn Manson, où la douceur et les couleurs acidulées de Dita, icône « burlesque » contemporaine, contrastent avec l’agressivité et les ambiances glauques de Manson, la star du Heavy Metal.

 

 


INFOS:

Exposition du 20 novembre 2019 au 23 février 2020

Cité de la Musique – Philharmonie de Paris

221, Avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris