Parmi les nouveautés de cette 22è édition de Paris Photo, le parcours « Elles x Paris Photo » sous la houlette du Ministère de la culture et curatée par Fanny Escoulen pour écrire une autre histoire de la photographie et le secteur « Curiosa » qui ouvre sur la thématique du corps et du sexe dans un espace dédié qui rassemble 14 galeries. Florence Bourgeois se dit heureuse du résultat et de la cohérence qui en ressort suite aux choix de la jeune commissaire, Martha Kirszenbaum.
Mais la vraie surprise vient des pays d’Europe de l’Est qui se taillent une part croissante dans la cartographie de la foire.
Comme le souligne Christoph Wiesner la « néo-avant-garde » s’exprime enfin en Hongrie qui avait un certain retard par rapport à ses voisins, la Pologne, la l’ex-Yougoslavie ou la Romanie. On peut encore s’offrir des vintages à des prix abordables dans cette ancienne zone du Mur peu perméable aux appétits du marché. Le Japon est également bien présent en cette saison « Japonismes » à Paris.
Tour de piste en images de ce rendez-vous qui a tendance à toujours plus s’institutionnaliser, autour de 196 exposants à majorité généralistes originaires de 30 pays.
Cig Harvey, Robert Mann Gallery New York
Prix Virginia 2018 (International photography Prize for Women) pour sa série « You an Orchestra You a Bomb » où elle décide de faire une épiphanie du quotidien à la suite d’un accident de voiture en 2015. Donner une tonalité fragile et instable à l’instant présent dans cette nature du Maine qu’elle affectionne.
Jo Ann Callis, Rose Gallery
Des corps féminins dont le visage est exclu comme pour déjouer les attentes en matière d’érotisme. La série « Early Colour » qu’elle réalise chez elle à la fin des années 70 de façon très artisanale explore les mécanismes du désir dans une filiation évidente avec Hans Bellmer. Chaque corps est empêché, emprisonné par des liens façon bandage avec fils ou scotch. Mais alors que chez Bellmer le nu féminin devient le fétiche du désir de l’homme, il est question ici de se réapproprier sa sexualité et se détourner de cette vision stéréotypée.
Lydia Flem, Françoise Paviot
Psychanalyste et photographe, Lydia Flem est l’auteur de nombreux ouvrages dont « la vie quotidienne de Freud et de ses patients ». Elle a une approche éminemment subjective du medium auquel elle associe rêves et connections surréalistes. Avec « Féminicide, Artemisia », elle fait référence à cette artiste femme qui a passé sa vie à lutter pour s’imposer dans un monde d’hommes dans l’Italie du XVIème siècle. Victime d’un viol elle saura faire de sa croisade pour retrouver sa dignité un moteur sans précédent régnant bientôt sur la cour de Naples et intégrant l’Academia del Disegno de Florence.
Katrien de Blauwer, Les Filles du Calvaire
Elle opère des « fragments du féminin » pour reprendre les propos de Christine Ollier.
Son travail de collage puisé dans des magazines de cinéma noir et blanc des années 60 et des vieux livres aux couleurs fanées permet une alternance qui se rapproche de l’abstraction. Ces larges pans monochromes proches de l’art minimal renforcent le côté radical de l’ensemble. Plutôt que de collage, il faut parler ici d’art du « cut » en référence au cinéma qui est aussi une grande source d’inspiration pour elle. Godard ou Antonioni sont des maîtres qu’elle cite souvent.
Constance Nouvel, In Situ Fabienne Leclerc
L’artiste se penche sur la nature même de la photographie et les enjeux du processus (format, échelle, support, le cadrage..). allant jusqu’à envisager le hors champ dans un glissement permanent entre le réel et l’imaginaire. Elle constitue au gré de ses promenades une véritable base de données qu’elle peut travailler après comme une matière, « à la façon d’un peintre » selon ses mots. La volonté d’aller au delà du cadre, de prolonger la photographie et de la croiser avec d’autres mediums comme le dessin dans une mise en perspective qui repousse les limites initiales.
A noter que « Paravent » s’adapte à chaque intérieur du commanditaire selon le protocole mis en place.
Et les hommes dans tout ça ?
Paul Mpagi Sepuya et l’homoérotisme (Yancey Richardson gallery)
Son jeu de composition et de cadrage à partir de l’usage du miroir donnent à ses collages une apparence moderniste en lien avec son goût pour la littérature queer. Ses modèles sont toujours des amis ou compagnons et les enjeux de la fragmentation et du mélange de corps noirs et de corps blancs interrogent la question de la représentation du corps métissé dans la culture occidentale.
Ari Marcopoulos, Frank Elbaz
Son installation cacophonique « Machine » en 2017 pour la galerie constituée d’écrans, de musique, et d’un flux d’images avait frappé les esprits.
Ancien assistant de Warhol, observateur de la scène hip-hop, street photographer et skater, Ari Marcopoulos aime jongler avec plusieurs mondes et dresse un portrait sombre de l’Amérique et ses sous-cultures. Ses récentes collaborations, avec l’univers de la mode, illustrent sa faculté à sans cesse se renouveler.
La reconstitution du Lip Bar de Moriyama par Hamiltons (secteur Prismes)
On avait découvert le Tokyo chaotique de Moriyama à la Fondation Cartier en 2016. Symbolisant la femme, la ville qu’il hante inlassablement lors d’errances devient captive de son regard sauvage et indocile. Le quartier populaire de Shinjuku dans les faubourgs populaires au nord ouest de Tokyo fait l’objet de sa traque et son écriture photographique se précise vers un aspect flou et granuleux revendiqué par cette nouvelle génération de photographes.
Kourtney Roy, carte blanche Pernod Ricard
La canadienne diplômée de l’Université de Vancouver et des Beaux-Arts de Paris, a été choisie pour la 9ème campagne artistique annuelle du groupe. Sa série de portraits inspirée par l’audace « Go for the Extra Mile » tournée à Los Angeles avec 18 collaborateurs volontaires a donné lieu à ce qui ressemble à des séquences de films de l’âge d’or hollywoodien. Des mini fictions rétro et flashy où il est question de glamour et d’auto dérision dans une société encore très stéréotypée. Elle se met en scène avec de multiples accessoires s’effaçant cette fois pour cette nouvelle aventure.
Thomas Devaux, Bertrand Grimont galerie
Cadre doré à l’or fin, aura chromatique et faisceaux lumineux, pour amener le regard à la contemplation alors que le motif de départ, le supermarché, se dissout. L’artiste rejoue les codes de l’abstraction dans ces lignes de fuite évanescentes et hypnotiques. Palimpseste du temple de la consommation recouvert d’une ritualisation du désir. Les visages de « The Shoppers » sont nimbés d’un clair-obscur qui leur donne une dimension quasi sacrée.
Marie de La Fresnaye