Parade, une scène française, collection Laurent Dumas

Par Abigaïl Hostein13 novembre 2024In Articles, 2024

 

Qu’ils soient nés en France ou qu’ils y travaillent, les artistes présentés dans cette nouvelle exposition du MO.CO. partagent tous un point commun, celui d’avoir suscité l’intérêt de Laurent Dumas, chef d’entreprise et collectionneur passionné. Ce dernier a été invité à présenter une partie de sa collection, nous permettant de nous plonger dans un échantillon de la création de ces artistes nés entre 1926 et 1996.

 

Le parcours, conçu sous le commissariat d’Éric de Chassey, nous fait remonter le temps jusqu’aux années soixante, époque des Nouveaux Réalistes, avec Raymond Hains et Daniel Spoerri, décédé ce 6 novembre 2024. Ces derniers ont su s’approprier le réel de façon directe et participer à décrire cette réalité quotidienne d’une société de consommation dans sa banalité. Les artistes des décennies suivantes n’ont cessé d’interroger la place de l’individu dans cette société et son rapport à soi ainsi qu’aux autres. Les thèmes de la mémoire ou du souvenir, les emprunts au passé, la reconquête de l’innocence perdue et le besoin d’une échappatoire par l’imaginaire rythment au MO.CO. une exposition aux œuvres parfois intrigantes.

Au fil de notre cheminement, nous sommes saisis par la permanence des notions d’hybridité, d’imaginaire, et d’engagement. Les artistes ont une vision du monde ainsi qu’une conscience des dérives de la société démultipliée. Ils s’interrogent en tant qu’individu et en même temps semblent à la recherche d’une forme de solidarité perdue. Étrangeté de la situation, remise en question de soi, de son environnement, ils nous transportent jusqu’à s’interroger sur un possible (dés)espoir. L’hostilité du monde, son équilibre fragile, les codes sociaux qui nous enferment et nous séparent, ou encore l’évasion, le rêve et surtout l’imaginaire, nous sont donnés à voir à travers les œuvres présentées.

Ce reflet de notre société qu’ils nous renvoient, exprime un climat d’incertitude et d’instabilité du quotidien. La gravité grandissante dans leur regard s’avère tantôt inquiétante, tantôt témoin d’une lucidité que nous sommes libres d’accepter ou de décliner. Lorsqu’intervient une sensation de perte de repères, on se questionne sur l’état d’esprit de l’artiste. Entre dérision et fragilité, entre confrontation et détournement, du récit à l’expérience, que racontent ces œuvres ?

 

Agnès Thurnauer intègre le langage, textuel et corporel, à son écriture plastique. Elle s’intéresse à la dimension chorégraphique, au rapport à l’espace, et fait de ses œuvres des espaces de dialogue. La série Biotope, dont l’exposition présente deux toiles, semble évoquer la recherche d’un équilibre, dans un monde où nous sommes en permanence sollicités, accablés d’informations. Dans cette œuvre, la gymnaste occupe l’espace dans toute sa souplesse, et nous cache son visage, ainsi que ses mains. Tente-t-elle de s’évader de cet environnement assourdissant ? Raphaël Denis s’intéresse à la notion de collection d’art. Il interroge ainsi notre rapport à l’œuvre et à l’exposition comme ici, en détournant une série de bustes dont les origines remontent à l’Antiquité. Avec ses Plâtres noirs (réalisés à partir de reproductions en plâtre acquises auprès de musées), il détourne des pièces historiques et participe à leur désacralisation, tournant en ridicule le principe de démonstration de savoir et de pouvoir dont un État jouit par le biais de ses collections. L’univers de Romain Bernini nous emmène dans une dimension à la croisée du monde réel et d’un espace cosmique mouvant et coloré. Suspendu dans l’espace et dans le temps, le personnage représenté bondit d’une réalité à une autre, vers un gouffre inconnu. Ne sachant pas si l’issue sera heureuse ou tragique, le spectateur ne peut qu’imaginer ce que cet individu tente de quitter, ou espère trouver. Le risque vers le changement vaut-il le coup ? En tous les cas, le personnage ne regarde pas en arrière et son mouvement en suspens indique toutefois une volonté d’aller de l’avant. Ses arrière-plans ont des allures d’aurores boréales. La douceur des couleurs et la sensation d’ondulation invitent ses personnages à s’y lover, et ses éléments de végétation à s’en nourrir. Chez Dora Jeridi, l’histoire est un mystère. L’artiste est parvenue à passer une profonde crise personnelle à travers la peinture, et cela se reflète dans ses œuvres, effectivement très chargées émotionnellement. D’une puissance assourdissante, on ressent l’emportement et le tourment, dans le geste et sur la toile. Les deux panneaux Les mangeurs d’images 2, l’un dessiné au bâton d’huile et l’autre peint à l’huile, se rencontrent et partagent l’espace grâce à deux bras étendus au sol. Différentes phases de la chute du personnage de gauche semblent représentées, jusqu’à l’effondrement, dans un vacarme terrifiant. Dans la partie de droite, c’est un silence glacial qui enveloppe l’être agenouillé portant les mains vers son visage effacé. S’il se tient dans une position que l’on pourrait assimiler à un geste de recueillement, l’auréole noire à ses genoux ainsi que l’ombre remontant le long de son dos nous font plutôt opter pour une position punitive. Face à cette toile de Elliot Dubail, nous décelons l’influence de Francis Bacon, qui créait de grands espaces vastes et épurés, où était souvent figurée la même personne. Dans le cas d’Elliot Dubail, les espaces appellent à l’isolement, et l’homme en est absent, ou anonyme. Chacun est libre de projeter sa solitude. Intimement influencé par la peinture religieuse, on perçoit dans ses œuvres une aura divine et pesante. La chaleur des couleurs, le rendu lissé des textures, la perspective étirée et la composition rangée invitent au recueillement. Dans cette série Les bains, évoquant le rituel oriental du bain, il vient briser la sombre gravité ambiante par une lumière jaillissant au cœur de la composition. Avec J’ai fait un rêve #2, Célia Muller nous offre un mur d’évasion. Effrayant, par cette immensité noire, le grain poudreux du matériau renforce la sensation de mouvement. Puissant, en sa faculté à nous couper le souffle, due à des dimensions forçant l’humilité chez celui qui regarde. Célia Muller travaille à partir de photographies, et varie les matériaux. Ici, l’oxyde de fer noir sur papier, d’autres fois elle travaille le pastel sec ou encore l’encre de tatouage. Nous nous retrouvons ici comme face à une transposition verticale d’une photographie telle que Surf, China Cove, Point Lobos, capturée par Edward Weston en 1938 (MoMA, New York). La sensualité de l’idée de la vague contraste ici avec la densité sourde de l’eau, la noirceur qui nous surplombe, et ainsi découle notre sentiment d’incapacité à dompter ces ondulations aqueuses.

 

Au fur et à mesure de notre déambulation dans l’exposition, notre perception s’éclaircit. Ces artistes ont besoin de créer de nouveaux repères. Dans leurs œuvres, ils projettent leurs inquiétudes, leurs pensées et tourments. Il est difficile de rester innocent devant ces créations dont jaillissent de puissantes imaginations ou réflexions quant au devenir de notre environnement. Espaces de solitude, de partage, de recueillement, ou encore propices à l’évasion, voici un aperçu des préoccupations qui, décennie après décennie, angoissent, révoltent, autant qu’elles font vibrer les artistes.

 

Infos pratiques

Parade, une scène française, collection Laurent Dumas

MO.CO.

13 rue de la république, Montpellier

Jusqu’ au dimanche 12 janvier 2025