Odonchimeng Davaadorj sous la voûte céleste
Lorsqu’on la voit, on est d’abord frappé par sa beauté : longs cheveux noir de jais, yeux légèrement bridés, peau de velours, cou gracile sur des jambes qui n’en finissent pas, on se dit qu’Odonchimeng Davaadorj pourrait être mannequin. Et ça tombe bien, parce qu’elle l’est. Enfin, elle exerce ce métier pour survenir à ses besoins. Mais elle est surtout artiste et dessine, sur des supports souvent rudimentaires, à l’encre de chine ou à l’aide de la broderie, des corps de femmes nus aux membres parfois disloqués et reliés par des fils rouges, des animaux, plutôt sauvages, qui deviennent vite comme des prolongements de l’humain, ou des végétaux, qui se répandent comme des vaisseaux sanguins. Elle a étudié à l’Ensapc (Ecole nationale supérieure d’arts Paris-Cergy) et a montré son travail au Salon de Montrouge 2018 où elle a remporté le Prix Adagp. Représentée par la galerie Backslash, où elle a déjà eu une première exposition, elle s’apprête à participer à la prochaine édition de Drawing Now.
Mais il a fallu du temps pour en arriver là. Odonchimeg Davaadorj est née en 1990 dans la lointaine Mongolie, où elle partageait son temps entre la ville et la campagne. A dix-sept ans, la jeune fille, trop à l’étroit dans son pourtant vaste pays coincé entre la Russie et la Chine, décide d’aller rejoindre sa sœur aînée, qui travaille en République tchèque. Mais pour des raisons de visa, elle ne peut pas rester et atterrit alors à Paris où des amis de ses parents l’hébergent quelques mois. Les premiers temps sont durs : elle ne parle pas un mot de français, fait des petits boulots, du ménage, du repassage à domicile ou du baby-sitting pour survivre.
Elle veut d’abord travailler dans le milieu de la mode et commence alors cette activité de mannequinat qu’elle pratique encore. Et elle dessine aussi. Depuis qu’elle est petite, elle a toujours dessiné et elle a acquis une base technique classique. Mais elle ne connaît rien à l’art. C’est le moment où, grâce à l’école qu’elle vient d’intégrer, elle découvre les musées. Et les galeries, dont elle s’étonne de constater que l’accès en est gratuit et que, désormais, elle va visiter assidûment. C’est l’heure aussi des premiers chocs esthétiques. Beaucoup changeront ou se transformeront avec le temps. Mais l’un d’entre eux restera, qui est toujours aussi prégnant dans son travail : celui de Louise Bourgeois, avec son rapport au corps, à l’érotisme, à la sensualité, mais à la douleur et à la blessure aussi.
Car le monde d’Odonchimeg Davaadorj, qui n’est pas sans évoquer non plus celui de Kiki Smith, est un monde étrange et merveilleux, à la fois cruel et tendre, où tous les éléments cohabitent et semblent ne faire plus qu’un sous la voûte étoilée. Et la poésie y est partout : jusqu’à celle qu’elle écrit et aime à dire ou à écrire sur des vêtements qu’elle porte lors de performances. C’est d’ailleurs vers la performance qu’elle voulait initialement s’orienter, et c’est une série de performances à base de vêtements liés à des dessins qu’elle montre lors de Drawing Now. Sur le stand de la galerie, qu’elle veut concevoir comme une installation, elle montre des dessins sur papier mais aussi –et c’est nouveau pour elle- sur verre. Et elle souhaite mettre l’accent sur l’urgence de la question climatique. Car si elle ne se reconnaît pas particulièrement dans le discours féministe (malgré la nature de ses travaux, qui semble l’associer à une lutte de ce type), elle se bat pour cet environnement qu’elle a si bien appris à connaître, enfant, et qui reste tellement au cœur de son étonnant univers.