Nouvelle résidence d’artistes à la Villa Dufraine
L’Académie des beaux-arts a bénéficié de la donation, par le fils du sculpteur Charles Dufraine, d’une grande propriété à Chars dans le Val d’Oise. Son secrétaire perpétuel actuel Laurent Petitgirard a souhaité en faire un lieu de résidences d’artistes autour de la création contemporaine. Jean Michel Othoniel, nommé il y a trois ans à la tête de cette Villa, nous en explique le principe.
« J’en ai pris la charge en 2022 et, après une longue période de restauration des deux bâtiments, j’ai élaboré un programme construit autour de l’idée du collectif et destiné à de jeunes artistes sortis d’école. Après huit mois de résidence, les artistes ont construit une exposition qui aura lieu à partir du 8 novembre à la Monnaie de Paris.
J’ai fait appel, pour la première année, aux écoles de Beaux-arts, aux universités spécialisées dans la formation de commissaires d’exposition et à des associations de jeunes artistes. Après la constitution d’un jury composé de membres de l’Académie et de professionnels extérieurs, c’est le projet parrainé par Paris IV et inventé par l’un de ses anciens étudiants qui a été sélectionné. »
Lou-Justin Tailhades, commissaire invité de la résidence, a axé son projet sur l’importance du langage et du souvenir dans la création d’aujourd’hui. Il a choisi huit artistes et une graphiste : Maxime Bagni, Agathe Bourrée, Sarah Konté, Hatice Pinarbaşi, Jordan Roger, Pierre-Alexandre Savriacouty, Christophe Tabet, Mathilde Rossello Rochet et Halveig Villand.
Cette première édition est forte en surprises, le souvenir évanescent, les traces et les ruines de notre modernité s’effacent et renaissent sans désenchantement. Un retour aux matériaux pauvres et sauvés de l’oubli semble affirmer une position radicale, engagée et résistante.
Lou-Justin Tailhades nous explique son projet.
Vous êtes le premier curateur à avoir été sélectionné pour la résidence à la Villa
Dufraine. Par quel biais avez-vous candidaté ? Quel a été votre projet et comment l’avez-vous bâti ?
J’ai été informé de cet appel à projet assez confidentiel qui a circulé dans les écoles d’art françaises et masters curatoriaux. Je n’ai pas hésité longtemps à y répondre.
J’ai voulu prendre des risques qui me paraissaient censés en invitant effectivement huit artistes mais en laissant une place à un.e graphiste et une autre délibérément vaquante pour pouvoir accueillir des intervenant.e.s. J’ai proposé un projet ouvert et une vision de la résidence comme un lieu vivant de création et d’amitié, ancré dans le territoire, loin des clichés que l’on peut se faire de ces espaces éloignés. J’avais prévenu les artistes sur le fait que l’intérêt de cette résidence collective était justement d’être bousculé dans leur travail personnel.
Vos études et vos précédentes expériences dans l’art contemporain vous ont-elles amené vers ce projet ?
Je n’y suis effectivement pas tombé par hasard ! J’ai été en charge de plusieurs projets d’exposition, notamment avec des artistes comme Raphael Sitbon, Mathilde Denize, July Ancel ou plus récemment Babi Badalov. J’ai également travaillé pour la récente coopérative curatoriale Radicants, fondée par Nicolas Bourriaud.
Comment a été fait le choix des artistes ? Sur quels mediums travaillent-ils ? Pouvez-vous expliciter le choix d’une graphiste comme neuvième artiste ?
Ma première exigence, évidente, était la parité. Je voulais des artistes issu.e.s de
formations différentes. J’ai également voulu réunir des pratiques variées (peinture, sculpture, installation, performance, poésie, etc.) imprégnées de la question du langage qui m’intéressait dans ce projet. Je connaissais la moitié des artistes et j’ai fait un important travail de prospective.
J’ai également pensé nécessaire d’inviter le graphisme dans un projet portant en partie sur le langage et pour lequel il y aurait beaucoup à faire au niveau du catalogue d’exposition et de la communication. Avec Agathe Bourrée, nous travaillons de manière étroite et complice.
Vous êtes depuis plusieurs mois en résidence à la Villa. Le projet a-t-il évolué ou même changé ? Comment les artistes se sont-ils emparés du lieu ?
Le projet a évidemment évolué, surtout car il est devenu une affaire collective et en plus sur un temps vraiment long (huit mois). Pour nous tous.tes, c’était la première fois que nous avions un si grand espace pour travailler et qui soit uniquement le nôtre.
La thématique de l’exposition s’est précisée sur la question des souvenirs et la manière avec laquelle nous créons des fictions pour pouvoir les supporter. Je me suis rendu compte que les préoccupations des artistes étaient portées sur ce qui reste et sur la manière de faire durer et de faire avec, c’est-à-dire de n’être surtout pas dans l’ignorance, le déni ou l’innocence mais dans un certain rapport au monde clairvoyant qui ajoute la poésie nécessaire à son insoutenable légèreté et à son réenchantement : notre génération est particulièrement soucieuse.
Les œuvres abordent des sujets liés à une inquiétude tels que la fin du monde, la perte d’identité, le traumatisme, la mémoire de guerre, la solitude, le silence, la sécheresse. Un des axes importants de l’exposition sera le rapport souvenir-guérir car les artistes ne posent pas un regard défaitiste sur un monde qui s’effondre mais proposent des manières de le soigner. On y trouvera notamment une broderie eschatologique et queer, une bibliothèque remplie de couvertures, de faux fragments de temple et même le caveau sacré d’une civilisation fictive et oubliée.
Entretiens réalisés par Françoise Docquiert
Infos
Villa Dufraine/ Académie des beaux-arts, Chars
Exposition Bonsoir Mémoire à la Monnaie de Paris du 9 novembre au 6 décembre