Nouveau lieu pour le nouveau cneai = Entretien avec Ann Stouvenel
Fin 2025, le cneai = nouvellement renommé « Composé, Navigué, Engagé, Abrité, Imaginé » s’installera dans un nouveau espace, sur L’Île-Saint-Denis (93). Rencontre avec Ann Stouvenel, sa directrice depuis 2023, qui nous présente les nouvelles orientations de la structure. Retour sur l’histoire et le développement d’un centre d’art qui trouve ses inspirations en bord de Seine, dans un esprit de partage et d’éco-responsabilité.
À son inauguration en 1997, cneai = signifiait « Centre national des estampes et des arts imprimés ». Ses missions ont-elles évolué avec le temps ?
L’idée de la création du cneai = remonte à 1993 et émane de la Ville de Chatou (78), avec comme mission principale de travailler sur l’histoire des Impressionnistes et de revenir sur l’art des estampes. Très tôt, le centre est doté d’une presse, ce qui va lui permettre de produire des multiples et d’assurer une grosse production de gravures avec des artistes. Très vite se monte la collection des Multiples, qui n’a cessé de grossir au fil du temps atteignant aujourd’hui plusieurs centaines d’œuvres et mutant au fil du temps en véritable artothèque. Dès le départ, sous l’impulsion de sa directrice et fondatrice Sylvie Boulanger, le centre d’art travaille à la diffusion des œuvres produites par des expositions et à la transmission via la médiation, l’éducation artistique et culturelle auprès des publics variés.
Vous parlez du premier lieu du cneai = à Chatou. Quand le cneai = est-il arrivé à la Cité internationale universitaire de Paris où nous nous rencontrons aujourd’hui ?
Le cneai = a quitté l’Île des Impressionnistes à Chatou en 2017 pour emménager aux Magasins Généraux à Pantin, avant de s’installer en 2020 à la Cité internationale universitaire de Paris. Il y sera présent jusqu’à 2025 sur des projets avec des maisons (1) et des missions pour des partenariats. En collaboration avec la Maison Île-de-France, la Fondation Avicenne, la Résidence Julie-Victoire Daubié, le cneai = prépare le Centenaire de la Cité universitaire avec notamment la réactivation de l’œuvre de Yona Friedman Le musée sans bâtiment, où sont aussi impliqués les résidents de la Cité, des étudiants de Paris 1, l’association des Hypers voisins, des artistes et des chercheurs, entre autres activateurs. Je précise que le cneai = est dépositaire d’un Fonds Yona Friedman, légué par l’architecte avant son décès, en 2019. Ce fonds est maintenant conservé au FRAC Grand Large à Dunkerque qui assure régulièrement la visibilité de l’œuvre par des présentations de documents, maquettes, etc.. À la Cité universitaire, le cneai = est aussi partenaire de la Maison de l’Ukraine, avec laquelle le centre d’art vient d’éditer un catalogue. Ainsi la maison d’édition du cneai = renouvelle ses ambitions éditoriales.
À la collection des Multiples vient s’ajouter celle des FMRA, qui constitue également un fond important pour le cneai =.
Les FMRA constituent une collection atypique, en parallèle aux estampes. Ce ne sont pas forcément des œuvres d’art, mais surtout des objets d’artistes qui gravitent autour de l’art, comme des textes critiques, des stickers, des lettres, des vinyles, des K7, des fanzines, etc. C’est une masse énorme de plusieurs milliers documents, conservés au Frac Picardie à Amiens depuis juin 2024. Avec l’artiste Daniel Lê et l’équipe du Frac, nous avons fait notre premier workshop autour de cette collection avec des étudiants de l‘Université d’Amiens en janvier 2025. À cette occasion, les étudiants ont pu manipuler les OBU, original bipolar unite, créés par Bona-Lemercier. Ce sont des objets en métal, sortes de caisses modulables, qui servent de contenants aux FMRA. Ils datent de l’époque de Chatou où leur usage était conçu pour varier entre mobilier de scénographie, de bureau, de présentation, d’ouvrages, ou de caisses de conservation.
Si l’on résume le cneai = détient trois collections, les multiples, les FMRA et le Fonds de Yona Friedman. Est-ce qu’il y en a d’autres ?
C’est le moment de parler de la Maison Flottante, commandée en 2006 et mise à flot en 2007, qui constitue un autre pan de l’activité du cneai =. C’est une résidence d’artiste, sur la Seine, un bateau à fond plat habitable, une œuvre emblématique des architectes Denis Daversin et Jean-Marie Finot et des designers Ronan et Erwan Bouroullec.
Il faut souligner ici l’aspect engagé de cette résidence dédiée à l’accompagnement des artistes via ce lieu propice pour la recherche et l’aide à la production apportée. Si aujourd’hui les résidences font partie du paysage de l’art contemporain, ce n’était pas forcément le cas à l’époque. Co-fondatrice d’Arts en résidence – Réseau national, je peux en attester !
Le principe de la Maison Flottante a été adopté, un peu par défaut, car il n’était plus possible de construite sur l’Île des Impressionnistes. Amarrée à Chatou jusqu’en 2021, la barge déménage à Poses, sur une boucle de la Seine en Normandie, une terre d’accueil pour les métiers d’art. Cette spécificité du territoire est prise en compte dans les choix de résidence. La Maison Flottante a le précieux soutien du département de l’Eure, de l’agglomération Seine-Eure et de la Ville de Poses. À chaque résidence, un temps de rencontre est organisé avec le public. C’est la seule obligation que nous demandons aux artistes et artisans résidents, mis à part le fait d’être présent et d’arroser les plantes. Ils et elles sont rémunérés pour cette rencontre. À l’automne 2024, nous avons eu la joie d’accueillir Anatole Chartier, Ismaïl Bahri et Vvzela Kook, artiste de Hong Kong en partenariat avec le Consulat et Videotage. La première résidente 2025, à partir d’avril, sera Ulla von Brandenburg.
Comment se profile le nouveau cneai = en 2025 ? De quelle manière est-il envisagé ?
Comme son nouvel acronyme : « Composé, Navigué, Engagé, Abrité, Imaginé » !
Lorsque j’arrive en 2023, le cneai = est en questionnement, après ses différents déménagements et le départ de Sylvie Boulanger. Ma mission va être alors de relancer les activités et de repenser le projet artistique. Je suis accompagnée dans l’équipe du cneai = de Bastien Sbuttoni, l’administrateur-binôme, et du président de l’association Steven Hearn. Nous formons un trio de choc, magnifiquement accompagné d’un Conseil d’administration dernièrement renouvelé et très actif. Restant profondément attachée à la part de recherche du cneai =, j’ai la volonté de mettre en avant la notion d’archipel qui est fondamentale à mes yeux dans le développement des projets, la mise en réseau, les partenariats, l’ouverture au monde, les résidences.
Ce sont des concepts que vous avez déjà développés et expérimentés dans votre parcours précédemment.
Exactement. En 2009, j’ai cofondé avec Mathilde Guyon l’association Arts en résidence – Réseau national et j’en suis maintenant coprésidente. J’avais d’ailleurs dans ce cadre déjà visité la Maison Flottante. Auparavant, j’ai travaillé à Mains d’Œuvres à Saint-Ouen où j’ai pu expérimenter beaucoup de choses en termes de gouvernance partagée, de restructuration, de vie syndicale. J’ai une bonne connaissance des éléments juridiques liées à ce type de structure. En complément, j’ai suivi une formation en management. Ces expériences m’ont donné des outils pour restructurer le cneai =. De plus, je viens de Finis terrae – Centre d’art et de résidence insulaire à Ouessant et développe des projets sur des îles et des bateaux, et dans divers endroits du monde.
Concrètement comment voyez-vous « l’archipel » cneai = ?
En élargissant l’aspect multisite et décentré du cneai =. Aujourd’hui le projet s’organise en maisons : la Maison Flottante à Poses, les Maisons Volantes (toute l’action culturelle dans les écoles, rencontres et expositions hors-les-murs), les Maisons Monde, un programme de projet internationaux de résidence notamment le projet avec le consulat de Hong Kong et Macao, pour l’accueil d’artistes étrangers et l’envoi d’artistes français sur place, et bientôt d’autres projets en Europe avec des fonds européens sur lesquels le cneai = travaille actuellement. Enfin, la Maison Boîte, sur le modèle d’une agence de production pour accompagner la création d’œuvres et de livres d’artistes. Une des premières productions a été La Bouteille d’Abraham Poincheval pendant les JO 2024, une commande publique pour le commanditaire Plaine Commune (93).
« Commun », ce mot semble être le mot fédérateur du nouveau cneai =.
C’est vrai ! Si ces réorientations s’inscrivent dans le prolongement des activités du cneai = et son passé artistique riche et singulier, elles ouvrent sur de nouvelles perspectives, davantage sur le mode coopératif et collaboratif, pour des questions de citoyenneté, de bonnes pratiques, de droits culturels et de mutualisation des communs, à prendre au sens large de pensées, savoirs, budgets, moyens de communication. Je remercie ici tous nos partenaires publics et privés qui rendent l’archipel du cneai = possible, en citant plus particulièrement DCA pour le soutien structurel et la confiance, ainsi qu’ArTeC, organisme qui promeut la recherche-création et Arts en résidence – Réseau national. Plus que jamais les réseaux sont hyper importants !
Le nouveau bâtiment en quelques mots.
Tout vitré sur cinq étages, avec un espace d’exposition, deux étages d’ateliers d’artistes, une artothèque, des bureaux, un Fablab, des espaces mutualisés, l’idée étant d’avoir un lieu basé sur le vivre ensemble et ouvert sur la ville et l’agglomération, avec des projets en résonance avec les milieux fluviaux et insulaires. Encore des îles !
1-À l’issue de notre entretien, Ann Stouvenel rejoindra la Maison de l’Ukraine pour le lancement d’un catalogue auquel le cneai = a été associé en tant d’éditeur)
Infos pratiques
Centenaire de la Cité internationale universitaire de Paris
Du 5 avril au 21 juin 2025
17 bd Jourdan Paris 14e
Maison Flottante
52 chemin du Halage, Poses (Normandie)
www.cneai.com