Nina Childress, Fondation d’entreprise Ricard

Nina Childress est-elle heureuse ?

…Puisque tel était le titre, non dénué d’humour, de l’exposition de la galerie Bernard Jordan à l’occasion de la foire Bienvenue 2018, pour lequel il a gagné le prix du meilleur stand. A valeur de mini rétrospective (1985-2018), l’accrochage faisait défiler les différentes facettes d’un même thème : la peinture, au gré d’un parcours où la légende se confond parfois avec la réalité.

A présent que la Fondation Ricard lui consacre sa première monographie parisienne sous le commissariat d’Eric Troncy, commissaire d’exposition et codirecteur du Consortium de Dijon, Nina Childress, qui a toujours affiché une certaine résistance face aux injonctions officielles, a de quoi être heureuse. Au-delà du revival intense des femmes artistes qui agite nos institutions, c’est une juste reconnaissance, d’autant que Nina Childress, qui a d’abord fait ses armes sur les scènes rock alternatives françaises, a été nommée récemment professeur aux Beaux-Arts de Paris. Fin du purgatoire donc pour cette rebelle. Petit flashback qui a son importance, Nina Childress qui compte dans sa filiation franco-américaine plusieurs artistes peintres, rencontre à l’Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris qu’elle quittera assez rapidement, les membres du futur groupe de musique Lukrate Milk qui vont la conduire au collectif des frères Ripolin, dont les deux plus célèbres représentants : Pierre Huyghe et Claude Closky, ont depuis laissé tomber la peinture comme elle aime le souligner.

Le prix à payer d’une carrière internationale ? De ces années punk, elle retiendra une peinture flashy et acide dominée par les ruptures de style. Puis c’est la période « conceptuelle idiote » des années 1990, comme un pied de nez lancé à la tendance dominante avec les peintures pour chiens et pigeons, bonbons et savons. Viendra l’ébauche d’une représentation humaine, l’étude du flou, et le fluo plus récemment. En 2009, au Mamco Genève apparaissent sous un kitsch outrancier des photographies de grandes héroïnes du domaine littéraire et musical, comme la soprano Marjorie Lawrence, écartée de la scène suite à une poliomyélite. Ce cycle de peinture murale amorce les grands rideaux de scène repris plus tard au Palais de Tokyo en 2013 sous la forme d’un fantomatique « Rideau Vert ». Un piège visuel dans lequel Eric Troncy ne veut surtout pas tomber, préférant se concentrer sur des peintures non bavardes, loin de toute mise en scène et nostalgie.

Le CRAC de Sète s’y était déjà employé en 2015 avec l’exposition Magenta qui reste l’une des meilleures d’après l’artiste. Combien de destins brisés, de victimes expiatoires et d’obsolescences programmées dans cette voracité et surabondance visuelles ? Baigneuses du Lac des Cygnes sur fond vert écœurant, nudistes en technicolor radioactif, buste de l’impératrice Sissi tellement déclinée qu’il en devient un objet peint non identifié, France Gall, Sylvie Vartan ou autres baby dolls détrônées en bad girls sur fond d’illusions délavées, elle signe la mise en abyme de l’image et de la peinture, comme le soulignait Noëlle Tissier commissaire et ex directrice du CRAC. Pour l’heure, il s’agit avant tout de « Priver le spectateur de toutes ces béquilles qui l’éloignent de regarder vraiment le tableau pour ce qu’il est » résume Eric Troncy.  A lui de dénouer le mystère qui se cache derrière la fille verte, l’avatar qu’elle s’est récemment choisi ou se laisser simplement griser par la virtuosité technique. Tournez manèges !


Infos pratiques :

Fondation d’entreprise Ricard
12 rue Boissy d’Anglas, Paris 8è
du 18 février au 28 mars