NIL YALTER, TRANS/HUMANCE DE L’EXIL

 

Nous traversons le corridor vitré du MAC VAL, interface entre rue et musée, où l’installation d’affiches laisse apparaître, à travers les visages des travailleurs turcs des ateliers de confection clandestins de la rue du Faubourg Saint-Denis dans les années 1980, l’intitulé de l’œuvre : C’est un dur métier que l’exil. Dès lors introduits à la dimension sociocritique du travail de l’artiste, nous pénétrons la salle principale, et, pour unique et suffisante introduction, un poème, une vidéo : Les Rites circulaires, 1992. « Je viens de Turquie, Je suis de France. […] Je suis une immigrée, une nomade, une mongole. Exilée. Je suis le message. I am ». Les vers bilingues, lettrage aérien et rythmé sur le mur blanc en écho aux sons scandés par la vidéo, soulignent le questionnement identitaire et multiethnique de Nil Yalter. L’artiste, née au Caire, élevée en Turquie, voyageuse insatiable, est installée en France depuis les années 1960.

TRANS/HUMANCE s’ancre dans cette tendance à la redécouverte de figures féminines majeures de l’art contemporain, dont les œuvres reconnues ont pourtant été oubliées, et rend hommage à l’accrochage effectué à l’ARC (Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris) en 1983, la première exposition importante de l’artiste en France. Le co-commissariat de Fabienne Dumont et de Frank Lamy, permet une dualité complémentaire dans l’approche de l’oeuvre présentée, d’une richesse historique et multi-stylistique. Nil Yalter est une artiste féministe, archiviste, impliquée et concernée, donnant une voix aux ouvriers, aux immigrés, aux minorités. La question humaine de l’écoute est présente dans chacun de ses travaux, de la peinture constructiviste à l’expérimentation numérique, en passant par une démarche documentaire ethnographique. Polysémiques, ses œuvres autant que sa propre personne, transhument, se meuvent, et demeurent en perpétuelle mobilité temporelle. Cette caractéristique se retrouve parfaitement dans la scénographie de l’exposition.

Pas de parcours chronologique ou thématique imposé dans cette rétrospective, liberté de déambulation totale est ici laissée au visiteur, errance sensorielle délicieuse. Le dispositif interactif, Histoire de peau (2003), nous laisse même découvrir à portée de clic de souris, les symboles mythologiques de la féminité, en correspondance avec la fragmentation abstractionniste du corps de l’artiste. Si le but premier est ici de rendre compte de la totalité du travail de Nil Yalter sur plus de cinquante années de production, périodes et sujets sont alors entremêlés, afin de révéler la véritable cohérence de son oeuvre. Dialoguant entre elles, les compositions de collages ou de montages-vidéo, fortes de symétries, et de jeux de miroirs, sont muées par une même obsession formelle et politique. À la recherche ethnographique se juxtapose systématiquement un traitement plus symbolique de l’abstraction et de l’étude des signes ; au gré de la dénonciation sociale, un attachement au décoratif demeure –héritage byzantin ou legs de Malevitch ? Dans AÇEV – Istanbul, Diyarbakir, Mardin (2006), projet documentant l’alphabétisation des femmes et des enfants dans des villages turcs, le montage vidéo, coloré, dynamique appartiendrait presque au registre du jeu et captive tout en émouvant. Des bribes de musique populaire turque nous attirent vers l’un des blocs de visionnage, où l’image démultipliée d’une gitane, tantôt dansant, tantôt taillant ses fleurs, est noyée dans une abondance tournoyante de formes et de symboles en un rendu hypnotisant (Gitane, 1987-1988 / 2019).

L’Exil. Nil Yalter, visionnaire, l’aborde depuis des décennies dans son travail, dont l’intersectionnalité n’en fait que davantage résonner le contexte d’aujourd’hui. Cette exposition se révèle d’une actualité redoutable, forte de conscience politique et féministe, en phase avec la question du voile, la problématique kurde, ou encore, les revendications des gilets jaunes.

 


INFOS :

TRANS/HUMANCE
MAC VAL
Place de la Libération, Vitry-sur-Seine
jusqu’au 9 février