NEFELI PAPADIMOULI, ce qui (nous) fait ensemble

Par Marie Gayet12 novembre 2021In Articles, 2021, Revue #27

 

Un passage, formé par deux cimaises de tissu blanc agitées par des mouvements intempestifs provoqués par des performeurs invisibles, peu rassurant pour le visiteur qui le traverse, un immense chapeau qui ne peut être porté qu’à plusieurs, une installation de fils de verre qui nécessite de la parcourir avec précaution, des formes/objets épousant les lignes du corps et dans la rencontre avec l’autre requièrent une attention particulière, une grande « dentelle » nouée à partir d’une multitude de morceaux de tissus et déplacée par le mouvement commun des performeurs. Ce premier inventaire de quelques œuvres de Nefeli Papadimouli donne l’esprit de son travail et combien la dimension participative et la notion du « être-commun » le traversent.

 

Après des études d’architecture à Athènes, sa ville natale, elle vient à Paris pour entrer à l’École des Beaux-Arts, dans les ateliers de Eric Poitevin puis de Michel François dont elle sort diplômée en 2016.  Nefeli Papadimouli fait partie de cette génération de jeunes artistes grecs qui ont été affectés par la crise sociale dans leur pays. Nombreux ont commencé à agir, réfléchir ensemble, faisant entendre un « nous » plus qu’un « je », n’imaginant pas toujours un « vous », car avant tout il s’agissait de créer, en énergie connectée. Pour elle qui cite volontiers Claire Bishop, Giorgio Agamben, Jean-Luc Nancy ou encore Judith Butler, des notions comme prise de conscience, doute, relations humaines, collectif, partage et empathie ne sont pas des mots en l’air mais bien des moyens d’envisager des possibilités de coexistence entre l’art, les individus, les objets, le monde végétal, le monde animal…

 

Au croisement de plusieurs disciplines, sculpture, peinture, installation, performances et vidéos, sa pratique est en perpétuelle évolution et expérimentation, n’hésitant pas à prendre des risques, jamais aussi satisfaite que lorsqu’elle s’est déplacée, a fait « quelque chose que je n’avais jamais fait avant ».

Son premier film Être forêts est en ce moment présenté dans le programme Archipel au FRAC Grand Large. On y voit des personnages dans une forêt, habillés d’étranges costumes, vaquant à différentes actions, la principale étant de s’harmoniser dans le mouvement de la dentelle formée en extension de leurs corps. Les costumes, tous cousus par elle, sont présentés sur des portants dans une salle adjacente, et on comprend, après avoir vu la vidéo, pourquoi les morceaux de tissus au sol étaient tachés, montraient les marques d’une utilisation antérieure. Ce sont ceux qui ont été portés par les performeurs dans la forêt. Cette double présentation, installation et film, est l’œuvre à part entière.

 

Au fil du temps, la couture est devenue plus présente. Ses créations textiles, entre l’accessoire aux proportions démesurées, le costume hyper stylisé ou le vêtement « habitable » se font de plus en plus originales. Pour une artiste architecte, concevoir des habits en les pensant comme des habitats ou des abris, c’est créer des sortes d’architectures mobiles, des espaces-corps en déplacement.

 

Si elle parle de « espace-entre », il y aussi de l’espace « autre », tel qu’a pu le définir Michel Foucault dans son concept de l’hétérotopie, voire aussi de l’espace « antre », là où peut s’opérer un changement.

La manière de positionner le corps avec la forme est importante, induit une construction de récits, singuliers ou collectifs. Les grands sacs de toile de jute tissés dans lesquels un corps peut se glisser invitent à la mue, une nouvelle éclosion. « Je fabrique des objets pour initier des comportements, proposer des manières pour agir ensemble », mais c’est vers ce point d’équilibre si fragile à ajuster que son travail nous renvoie, tandis que l’on se demande comment, et si, on se transforme au travers de la personne en face. A la suivre, on serait tenté de dire oui.

 

Nefeli Papadimouli s’inspire de ce qu’elle vit, de ce en quoi elle croit, quitte à changer ce qui était initialement prévu, comme, lorsque pour un projet autour des manifestations, elle transforme des banderoles en vêtements ou en coussins, lorsqu’elle s’aperçoit que les tissus ont été fabriqués en Chine, pays où justement tout mouvement social est réprimé. Intègre jusqu’au bout. La dentelle, elle la découvre tandis qu’elle est à Calais, ville où elle passe le premier confinement, arrivée en résidence peu de temps avant, et l’intègre dans ses créations.

 

Si elle donne à d’autres la possibilité de s’exprimer en performant des œuvres réalisées à cet usage, sa performance à elle est à l’atelier (en ce moment à la Cité internationale des arts), seule, où elle passe beaucoup de temps, attentive au détail, à l’étoffe qui sera cachée, à « ce que l’on ne voit pas » ; un temps du travail corollaire au temps du regard qui sera porté sur l’œuvre.

 

Sa prochaine exposition Milieu mouvant à la Pal Project met en mouvement des grands éventails, que l’on imagine déjà soulever l’air et les couleurs, dans cet espace intermédiaire où sa pensée danse, et la nôtre avec.


Archipel – quatre résidences, mille expériences,

jusqu’au 2 janvier 2022
Frac Grand Large — Hauts-de-France, Dunkerque (59)

 

Milieu mouvant (exposition personnelle)

du 4 décembre au 18 décembre 2021

Commissariat :  Violette Morisseau

PAL Project,

39 rue de Grenelle, Paris 7e

 

 

Revolting bodies (exposition collective),

du 8 décembre 2021 au 5 mars 2022

Commissariat : Alexis Fidetzis

Atopos CVC, Athènes (Grèce)