NATALIA VILLANUEVA LINARES - La poétique de l’éclatement
Natalia Villanueva Linares déborde d’idées, d’œuvres, de couleurs, de rencontres et d’émotions, comme sa vie et ses pratiques débordent les territoires. Après une jeunesse entre le Pérou et la France, elle entre dans l’atelier de Giuseppe Penone aux Beaux-arts de Paris, dont elle sort félicitée en 2011. Installée depuis à Chicago, elle cultive une pratique protéiforme, entre objets, installations et performances. Elle interroge nos environnements et nos expériences communs pour mieux nous rendre à leur partage. D’une œuvre à l’autre, Natalia Villanueva Linares s’offre le monde et nous l’offre en retour, dans les éclats de tous ses débordements.
Ses œuvres flamboient de joies « coloriantes », déploient les nuances de rose, rouge et orange, de violet et de bleu, caractéristiques des cultures péruviennes qui rehaussent son regard. Les papiers de soie de Dual, cousus en délicats voiles pâles ou écrasés en boules de couleurs vives, nous invitent à célébrer toute la palette des ravissements possibles. Ses œuvres débordent en même temps de la profusion matérielle du monde. Natalia Villanueva Linares accumule et organise : des milliers d’aiguilles dont elle perce des feuilles blanches Aigue, des milliers de sacs en papier pour construire des temples Devota. Ses œuvres débordent enfin de leurs histoires cachées. Elle entretient en effet un rapport profondément sensible, animiste et poétique aux objets. Son patient travail de dévidage des fils des bobines de Sister 0 met par exemple à nu leurs corps de bois pour en dévoiler les marques, cicatrices de vieilles dames ou de jeunes couturières. Derrière les normes d’industrie et de consommation, elle s’efforce ainsi de nous restituer la singularité des récits des objets silencieux qui nous entourent.
Pour faire émerger ces récits, Natalia Villanueva Linares découpe, déchire et morcelle le monde en éclats. Ce travail répétitif, parfois douloureux, ne se limite pourtant pas à un travail de destruction. Il l’engage au contraire dans un processus de distribution, où se jouent les rapports des parties et du tout, de l’unique et du multiple, de l’un et de l’infini. L’éclatement formel répond alors à un sentiment d’éclat de son « tout » – « comme une étoile qui explose mais qui continue en fait à avancer dans l’univers, dans le même sens et en compagnie de ses fragments ». Cet art de l’éclat lui permet de faire sens de ses expériences intimes, de l’amour 2D 1/2 ou Kill me honey, de l’espace ou du temps. De plus en plus, l’artiste cherche à creuser par ces thèmes la complexité des expériences humaines, de se saisir des failles autant que des joies pleines. Récemment, les secrets peints dans les rouleaux fermés de Chillona se sont par exemple révélés trop lourds à porter et leurs encres ont transpercé leurs papiers. Les papiers de soie de la série Dual sont destinés à pâlir, à se transformer en poudres ou en eaux colorées. Ces œuvres, définies comme des « moments », opèrent ainsi dans le temps et s’ouvrent au mouvement continu des transformations cycliques, des divisions et re-créations de la vie.
Desmedida, série de trois œuvres dont fait partie le multiple proposé par Artaïs dans le cadre de sa vente de soutien à la jeune création contemporaine, explore ce mouvement. En réponse au travail d’un ami artiste, Alban Denuit, sur la poésie des standards et de la mesure, Natalia Villanueva Linares choisit avec humour de nous offrir la démesure et l’immesurable, sous la forme d’un mètre-ruban découpé en morceaux, rassemblés dans un vinyle transparent cousu de fil d’or Desmedida III. Là encore, il s’agit pour l’artiste d’une histoire intime, d’embrasser la distance et les temps de la vie ou de la mort qui séparent les êtres.
Chaque geste de destruction se double alors d’un geste de guérison. Et puisque la guérison est dans le « faire », l’artiste nous invite à venir faire avec elle. En 2020, des participants ont ainsi pu venir découper des mètres rubans à la galerie Thaddaeus Ropac pour les 70 ans de Jeune Création[1]. À de nombreuses occasions, des inconnus se sont rassemblés pour couper des mèches de leurs cheveux, fabriquer des confettis, froisser des papiers de soie. Ces performances collectives constituent l’ensemble des Soulutions, une bibliothèque de gestes filmés lors de moments uniques. Chaque geste s’inscrit dans des couches multiples de supports, de temps, d’espaces, de sons, de présences et d’individualités, qui colorent par leur unicité une facette de l’œuvre totale.
Dans tous ses aspects, le travail de Natalia Villanueva Linares donne ainsi sa pleine mesure à cette qualité de la beauté relevée par l’écrivain et calligraphe François Cheng : L’unicité de chacun ne saurait se constituer, s’affirmer, se révéler à mesure, et finalement prendre sens que face aux autres unicités, grâce aux autres unicités[2].
[1] Galerie Thaddaeus Ropac, « Rassembler ce qui est épars » de « En Être » – 70 ans de Jeune Création, du 16 au 26 septembre 2020.
2 François Cheng, Cinq méditations sur la beauté, Paris : Editions Albin Michel, 2008, p. 21.
INFOS
Exposition personelle Las primeras Poemáticas, Wu galería, Lima en juin 2021