Les collectionneurs P. Pepe et I. Kerenidis, respectivement juriste et chercheur en lumière quantique, sont conviés par la fondation Hippocrène en sa 17ème édition de Propos d’Europe. Constatant le potentiel du discours dans les implications sociétales et souhaitant suivre les artistes dans leurs engagements et prises de risques, ce couple italo-grec résidant à Paris, lieu de naissance de leur collection, fonda en 2015, sur l’île la plus éloignée des Cyclades, une biennale dont le nom, PHENOMENON et celui de l’île, Anafi, sont issus d’une même racine étymologique que « photographie » et « lumière » : « ανέφηνεν, faire apparaître ».

Car c’est le plus archaïque des dieux aux moult attributs, Apollon le lumineux, protecteur des poètes, chargé par Zeus de répandre via des oracles la lumière des arts et des sciences, qui éclaira de son arc d’argent et flèches à rayons de soleil ce bout d’Arcadie salvifique en une nuit de chaos produite par l’éruption minoenne de Santorin, à l’élite de 50 héros embarqués pour la plus célèbre expédition de la mythologie, à bord du tout premier voilier, Argo le rapide.

Ce rapport à la structure dialectique, qui vient d’être primé par le Prix Montblanc pour le mécénat artistique, peut être élucidé à l’aura du mythe de la Toison d’or, rite initiatique semé d’embûches, préfiguration de la quête de sens ; puisque la lumière, pour les argonautes plongés entre deux potentialités aussi réelles que la vie et le sombre précurseur, à l’instar de l’art, s’embrase entre réalité cachée et révélation de vérité, éclairant la façon dont le langage et le savoir renégocient en permanence les histoires collectives et personnelles.

Le titre Multitudinous Seas se réfère au systématisme des épithètes évoqué par Virginia Woolf lors du seul enregistrement conservé de sa voix¹, qui déplore comment l’expression, depuis son utilisation par Shakespeare dans Macbeth, est à jamais tragiquement associée à la couleur écarlate.

C’est à l’interstice entre visible et discursif qu’advient la création², et les œuvres exposées expriment une continuité scientifique en relation avec les sciences humaines, la philosophie, la poésie, la traduction, l’anthropologie, la sociolinguistique, le politique et même les queer studies, nous invitant à déconstruire les récits dominants.

L’art contemporain comme révélateur de l’invisible, dévoilant des mondes inimaginables, manifestant les apparences, renversant les hiérarchies établies, les dominations idéologiques et légitimations de pouvoir, démystifiant l’hégémonie culturelle et les certitudes historiques.

1 BBC radio série “Words Fail Me”, 29 Avril 1937, cf. Youtube.

2 L’archéologie du savoir, Michel Foucault, 1969.