Morgan Courtois à la Fondation Pernod Ricard

 

 

Un parfum de fin de soirée, entêtant et dissonant se dégage du paysage baroque et chaotique suscité par l’artiste Morgan Courtois à l’occasion de sa première exposition institutionnelle parisienne à la Fondation Pernod Ricard. Conçue avec la commissaire américaine Zoe Stillpass, l’exposition Décharge joue des temporalités changeantes entre sculptures, céramiques, fleurs et odeurs, naturelles et artificielles. Quand Huysmans rencontre Süskind, on bascule dans une décadence subtile où l’art olfactif se trouve sublimé. Morgan Courtois revient sur les notions de nature morte, de désir et de fétichisation du corps et de son double.

 

Quelle atmosphère générale souhaitiez-vous installer pour cette narration sensorielle et olfactive ?

Il y a une atmosphère qui est étudiée principalement dans la première salle pour évoquer un espace oscillant entre une fête et une décharge. L’installation Passage des cygnes est composée de centaines de récipients en porcelaine qui jonchent le sol. Certains vases et bouteilles d’alcool contiennent des fleurs. Il y a également des chemises imbibées de liquides tels que du pétrole, des parfums ou encore de l’urine. J’ai créé pour cette pièce un parfum qui est diffusé tous les jours. Il est très simple car composé de macération de mégots de cigarette et du parfum de L.T Piver Rêve d’or. C’est en quelque sorte « le cœur du parfum » de l’exposition auquel s’ajoutent beaucoup d’autres odeurs.

 

La notion de trouble, de dissonance, de dysharmonie est très présente par le biais des odeurs, en quoi parvenez-vous à les distinguer des parfums ?

Ce qui m’intéresse aussi dans les odeurs et dans l’idée de décharge c’est le recouvrement. Comment une odeur en cache une autre ou comment elles peuvent s’accorder de façon harmonique ou dysharmonique avec ce qu’il y a déjà. Les parfums que je réalise ne sont pas toujours agréables car ils s’inspirent du chaos olfactif qui peut se produire dans la rue. Ce sont des parfums pour des espaces reproduisant des paysages olfactifs. La première installation est ainsi composée de diesel, d’essence F, d’absolu de Tuberosa, d’un jasmin bon marché venant du Caire, d’urine, de macération de mégot de cigarette dans de la poliakov, de molécules synthétiques tel que le Butyrate CIS 3 hexenyl, d’huile essentielle de manuka… mais tout cela est accompagné par de vraies fleurs odorantes tel que des tubéreuses, des lys et de quelques hyacinthes. Ceci crée un parfum de l’exposition dans le sens où plusieurs odeurs circulent. C’est comme si les murs de la Fondation contenaient tous ces éléments tel un flacon.

 

La nature morte ou vanité parcourt l’ensemble de l’exposition, dans sa conception anglaise de Still Life, titre de la série des vases et des bouteilles, c’est-à-dire encore frémissante mais proche de la déliquescence, une temporalité « agissante » pendant la durée de l’exposition, par quels moyens ?

J’aime beaucoup les natures mortes qui évoquent le désordre tel que celles de Willem Claesz Heda, de Ambrosius Bosschaertou encore certaines compositions du Caravage. D’une autre façon le photographe Harold Edgerton est aussi important pour moi que ces peintres historiques avec la même idée de suspendre le temps. Je veux dire par là que pour moi, la photo doit être prise rapidement, sans réglage puisque je m’intéresse aux formes vives, aux formes liées à la vitesse, à la chute, aux débordements, aux plis, aux explosions… C’est un peu le hors champ de mes sculptures. Même si au final beaucoup de choses sont figées dans l’exposition, à part les plantes qui s’affaissent et les odeurs qui circulent et se font aspirer par la VMC de la Fondation.

 

En quoi votre résidence à la Rijksakademie a-t-elle été une étape décisive de votre parcours ?

Les deux années passées à la Rijksakademie d’Amsterdam (2018 – 2019) m’ont permis d’approfondir des savoir-faire assez traditionnels tels que le moulage et j’ai surtout travaillé la céramique. Avoir l’opportunité d’un accès à plusieurs fours et d’apprendre à fabriquer des émaux avec Marianne Peijnenburg était très excitant. Je suis très reconnaissant qu’une telle institution existe et permette d’expérimenter autant d’outils dans de si bonnes conditions de travail. J’aimerais beaucoup poursuivre ce travail de céramique à Paris mais les endroits de production sont rares.

 

Je vous ai découvert à travers vos sculptures, quel est leur rôle dans l’exposition ?

Les sculptures en plâtre dans l’exposition sont des agrandissements de parties du corps proche du sexe mais ces détails sont tellement agrandis qu’ils ne se lisent pas de la même façon. Le sexe est au bord de la sculpture. En ce sens elles ont le rôle d’injecter dans l’exposition l’importance du corps comme véhicule de force et de vulnérabilité.

 

Question plus personnelle : dans la vie, le vase est-il à moitié vide ou à moitié plein ?

Il est totalement vide car je bois très vite !

Morgan Courtois est né en 1988 à Abbeville. Il vit et travaille à Aubervilliers. Il est diplômé de l’École supérieure d’Art et de Design à Valenciennes (2007-2009) et de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Lyon (2009-2012). Il a été résident à la Rijksakademie (Amsterdam) de 2018 à 2020 et lauréat du Prix Meurice en 2017. Il a co-fondé l’artist run space Pauline Perplexe à Arcueil. Son travail a été présenté à Paris en 2016 à la galerie Balice Hertling qui le représente, et à l’occasion de l’exposition personnelle « It’s All Tied Up in a Rainbow » (cur : Franck Balland) à la Passerelle, Centre d’art contemporain à Brest en 2018. Il a également montré son travail dans de nombreuses expositions collectives :  à la Biennale Sculpture Garden de Genève en 2020; dans le cadre de l’exposition « J’aime le rose pâle et les femmes ingrates » au Credac, Ivry-sur-Seine (cur : Sarah Tritz) et la Biennale de Lyon en 2019 ; « Médusa », Musée d’art Moderne de la ville de Paris en 2017; « Rien ne nous appartient, offrir », Fondation Ricard en 2017; « Les trépignements du Fakir », Centre d’art contemporain du Parc Saint-Léger, Pougues les-Eaux en 2015.

 

 

 


Infos pratiques :

 

Morgan Courtois, Décharge

Jusqu’au 26 mars 2022

Curatrice : Zoe Stillpass

Fondation Pernod Ricard

1 cours Paul Ricard, Paris 8e